Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/606

Cette page a été validée par deux contributeurs.
602
REVUE DES DEUX MONDES.

Mettant les poissons aux fenêtres

et montrant

Le petit enfant, qui va, saute, revient,
Et joyeux, à sa mère, offre un caillou qu’il tient ;

il copie littéralement l’Adone. Le Moïse sauvé, qui développe en arabesques souvent légers, toujours frivoles, une histoire héroïque, est composé sur le modèle de ce vaste poème, et vous croyez lire le cavalier Marin, quand vous trouvez chez Saint-Amant

Ces nageurs écaillés, ces sagettes vivantes
Que nature empenna d’ailes sous l’eau mouvantes,
Montrant avec plaisir en ce clair appareil
L’argent de leur échine à l’or du beau soleil.

M. de Sismondi, dans son Histoire des Littératures du Midi, avoue qu’il n’a pas lu l’Adone, et il en parle avec un dédain rapide. Mais ce poème en dix mille vers a régi pendant vingt années le monde poétique ; le Guide s’est inspiré de ses inventions. Toutes les épîtres à Chloris, dont la monarchie française s’est vue inondée n’ont pas d’autre source. Pour imitateurs, Marino a trouvé d’abord Saint-Amant, Chapelain, Voiture, Viaud, Cotin, Ménage, toutes les victimes de Boileau, et pour imitateurs involontaires, Dorat, Bernis, le marquis de Pezay et leur suite. En vain le sage et sévère législateur lança la foudre contre l’idole italienne, l’autel tomba, les adorateurs survécurent ; depuis Fontenelle jusqu’à Dorat, les madrigaux sur une jouissance et les stances « sur un petit chien que la marquise tenait dans ses bras » composent l’héritage direct légué par le cavalier Marino à la France. Beaucoup plus puissant sur l’avenir que le Tasse, qui résumait le platonisme et le christianisme, c’est-à-dire le passé, Marino, chantre des voluptés galantes, a précédé Boufflers, Parny, Dorat, Bertin, tous moins richement doués que lui par la nature, mais quelques-uns plus purs et plus sévères dans l’emploi des mêmes artifices poétiques.

On n’a pas plus de facilité, de variété, de flexibilité, d’esprit, enfin de talent que ce poète. Chez lui, comme à la surface d’un lac sans profondeur, se reflète une civilisation que la volupté affaisse. Comme elle, il s’amuse ; il ne tend à rien de grand, n’imagine rien d’utile, n’invente rien de fort. Dans le chant quinzième de son poème, il consacre cent dix strophes à une partie d’échecs jouée par Vénus et