Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/604

Cette page a été validée par deux contributeurs.
600
REVUE DES DEUX MONDES.

ce même Perez, secrétaire de Philippe II, premier introducteur de l’imitation espagnole en France. Marino fut le second.

Ce n’était plus un Italien véritable, un peintre exquis de la beauté, un adorateur de la forme pure et de la grace extérieure ; il cherchait un coloris plus chaud que celui du Tasse et de l’Arioste ; il essayait des alliances d’idées nouvelles, il voulait étonner avant tout, et regardait la surprise comme le grand but de la poésie.

E del poeta il fin la maraviglia ;
Parlo dell’ eccellente e non del goffo.
Chi non fa stupir vada à la striglia
.

Il renvoie à l’étrille quiconque ne cause pas la stupeur. Il a son système, qu’il développe fort longuement dans ses lettres et dédicaces, et spécialement dans celles qu’il adresse au poète Achillini, son élève, pire que le maître, comme cela arrive toujours. On remarque surtout en lui un mépris hautain de la critique et des critiques, mépris qu’il accommode de toutes façons et qu’il assaisonne de métaphores et d’épigrammes. « À quoi bon ces juges ridicules, ces arbitres prétendus, ces eunuques littéraires ? Que viennent faire parmi nous ces gardiens impuissans du sérail ? Quelle autorité peuvent prétendre ces misérables douaniers de la pensée, ces argouzins de l’art, ces commis de l’octroi poétique, lesquels s’en vont fouillant notre bagage, au risque de le flétrir et de la gâter ? Mais leur pouvoir est peu de chose. Ils croassent comme les grenouilles, ne pouvant ni chanter ni mordre. Dieu bienfaisant n’a donné ni dents aux habitans des marais, ni génie aux critiques, et c’est une véritable bénédiction. Si les uns avaient des dents et les autres du génie, tout voyageur serait forcé de marcher avec une cuirasse et des cuissards, et aucun poète ne pourrait faire de chefs-d’œuvre. »

C’est ainsi que notre homme d’esprit défendait son mauvais goût et sa révolution. Les contemporains adoptaient comme excellentes et ses raisons et ses poésies. Prédisposés à l’admiration du goût mixte qu’il introduisait, à moitié vaincus par la contagion universelle de l’influence espagnole, séduits par ce nouveau coloris comme par un enchantement, ils proclamèrent roi des poètes le versificateur hybride,

    de l’époque qui émurent le plus vivement l’attention publique. « An hodierno regi non plurimum obfuit Antonins Perezius ? » (De Monarchiâ hispanicâ, pag. 77.) — « Perfidus ille Antonius Perez… » (Ibid., p. 363.) — « Rex noster Aragonenses insimulavit conspirationis cum Antonio Perez initae, etc. » (Ibid., p. 202). Voir Walter Raleigh, passim.