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italienne expirer sous le même linceul du verbiage poétique, sous ces draperies brodées d’une parole qui ne couvre plus d’idées. Marino, l’éternel bavard poétique de cette époque, le véritable promoteur de la décadence italienne, débuta par une chanson (les Baisers (I Baci), qui courut toute l’Italie. Elle réunissait les deux principaux mérites de tous ses ouvrages, le sentiment de la volupté et celui de l’harmonie.

Il avait à peine vingt ans quand il l’écrivit, et tous ses défauts s’y trouvent déjà. Mais ce n’étaient pas des défauts faibles, communs, vulgaires ; c’était le charlatanisme de l’expression, le contraste, l’effet, la violence, la singularité, l’imprévu, poussés au dernier terme. Ces pauvres Baisers devenaient tour à tour une médecine[1], une trompette[2], un combat[3], une offense[4]. La bouche était une douce guerrière[5], une prison agréable[6], un corail mordant[7], une mort vivante ; toutes ces inventions inouies, qui devaient étinceler dans les milliers de vers que la plume de Marino allait donner au monde, se jouaient au milieu d’une description presque pathologique dans la curieuse recherche de ses détails, et dont tous les boudoirs italiens furent amoureux. L’éclatant succès des Baisers avertit le Marino de la gloire particulière qui lui était réservée. On vit couler de sa plume, comme un flot qui ne tarit plus qu’à sa mort, les Rimes « bocagères, champêtres, lugubres, amoureuses, capricieuses, héroïques, maritimes ; » le Chalumeau, recueil d’idylles ; le Massacre des Innocens, le Temple, les Panégyriques, et enfin l’Adonis, que Marino termina en France. Tragique ou comique, descriptif ou passionné, le Marino ne sortit jamais du sillon tracé par son premier ouvrage. Il trouvait à ce genre de triomphe une facilité qui le charmait : il ne s’agissait plus ni de penser, ni de rêver, ni de combiner un plan, ni de chercher la pureté exquise de la forme. À quoi bon se diriger vers l’idéal de Virgile et du Tasse ? N’est-ce pas assez d’étonner l’esprit et de réveiller les imaginations libertines ? Les étoiles, chez le Marino, deviennent les torches du convoi du jour :

Tremoli flamme belle,
Dell’esequie del di chiare facelle
 ;

  1. Baci aventurosi, Ristoro de’ miei mali, etc…
  2. Baci le trombe son.
  3. Baci l’offese.
  4. Baci son le contese.
  5. Bocca, dolce guerriera
  6. L’esser prigion s’appressa
  7. Quel corallo mordace.