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LE MARINO.

Pour paraître plus belles, elles se mettent des mouches et des emplâtres sur la figure. Elles sèment leur chevelure d’une certaine farine qui blanchit leur tête, si bien qu’au premier aspect je les crus toutes vieilles. Quant aux costumes, elles s’environnent de certains cercles de tonneaux, qui s’appellent vertugadins, et qui leur donnent l’air solennel ; elles occupent plus d’espace. Voilà pour les femmes. Les hommes, dans les grands froids, se promènent en chemise. Il est vrai que la plupart ont soin de placer un habit sous la chemise. Ils ont la poitrine ouverte, de manière à ce que cette chemise flotte au vent. Les manchettes sont plus longues que les manches, on les renverse sur le poignet, de manière à ce que de tous côtés la chemise empiète par dessus l’habit. Les hommes sont toujours bottés et éperonnés, et c’est une de leurs plus notables extravagances. J’en ai vu qui n’avaient pas un seul cheval dans leur écurie, qui peut-être n’avaient pas monté à cheval de leur vie, et qui ne se montraient jamais sans être bottés et éperonnés à la cavalière. Ils ont vraiment raison de prendre pour symbole le coq gaulois, qui a toujours ses éperons aux pattes. Coqs par les éperons, ils sont cardinaux par le reste de leur costume, la plupart du temps rouge, quant à la cape et au pourpoint. Le reste de leurs habits est mêlé de tant de couleurs, qu’on dirait une palette de peintre. Ils portent des panaches plus longs que des queues de renard, et sur la tête une seconde tête postiche qu’on appelle une perruque.

« Voilà les habits qu’il faut que je porte pour être à la mode ici. Ô mon Dieu, si vous me voyiez engoncé dans ce vêtement de mameluck, vous ririez de toute votre ame ! Mes braguettes, laissant passer la chemise, sont à peine retenues sur mes hanches. Quant à leur profondeur, je doute que le grand Euclide pût la déterminer… Tout cela est fortifié d’aiguillettes d’argent qui rendent ma situation fort difficile en certaines circonstances. Il a fallu deux aunes entières de dentelles pour me couvrir les jambes jusqu’à la moitié du mollet elles me battent perpétuellement la jambe. L’architecture de ce bel ornement, dont l’inventeur était certes un homme très ingénieux, est dorique ; il a son contre-fort et son ravelin, bien justes, bien plissés, bien arrondis, bien exacts. N’oublions pas qu’il faut placer sa tête au milieu d’un bassin de mousseline empesée dans lequel elle reste roide, comme si elle était de stuc. Quant à la chaussure, elle tient lieu à la fois de bottes, d’escarpins et de bas, et ne ressemble pas mal aux bottines de certaines vieilles gravures représentant le seigneur Eneas. Pour les faire entrer, il ne faut pas se fatiguer beau-