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LE MARINO.

de tout le monde, et commença par jouer le maréchal d’Ancre. Concini, après la première audience accordée à Marino, lui dit en français qu’il pouvait se faire remettre cinq cents écus d’or au soleil par son trésorier. C’était déjà une somme assez ronde ; mais notre Napolitain, qui, disait-il, ne comprenait pas bien le français, en demanda mille, qu’il toucha[1]. « — Diable ! (s’écria en italien le maréchal, la première fois qu’il rencontra Marino) vous êtes bien Napolitain, mon cher cavalier ! On vous donne cinq cents écus, et vous vous en faites payer mille ! — Excellence, répliqua-t-il, votre altesse est heureuse que je n’aie pas entendu trois mille. Je ne comprends rien à votre français. » — Enfermé dans une mauvaise auberge de la rue de la Huchette, n’affichant aucun luxe, se refusant aux avances et aux politesses des beaux esprits, envoyant à Naples, pour la construction de son palais et le paiement de ses tableaux, l’argent qui lui venait de toutes parts, il se parait d’une hypocrisie de distraction poétique et d’abstraction savante qui le faisait passer pour un génie. On racontait avec admiration à l’hôtel Pisani que le cavalier, assis devant le foyer de son auberge, absorbé par la méditation et la composition d’une stance, avait laissé brûler sa jambe, sur laquelle un tison embrasé avait roulé sans qu’il s’en aperçût. D’ailleurs, il avait fort à faire. Jour et nuit il travaillait ses dithyrambes en l’honneur du pouvoir ; c’était assez pour lui de couvrir de stances hyperboliques la nation, le roi défunt, la reine régente, le maréchal d’Ancre et le petit Louis XIII. Marie de Médicis, dont il a loué la bouche, les mains, le pied, les cheveux et la taille en plus de six cents vers, les premiers qu’il ait faits à Paris, trouvait à juste titre que c’était le plus grand des poètes du monde, et lui assurait une pension de deux mille écus d’or. Toutes les fois que la grande carosse dorée de Marie de Médicis rencontrait près du Louvre le cavalier Marin sur sa petite mule, la femme de Henri IV faisait arrêter sa voiture et causait long-temps avec ce merveilleux poète, qui devait transmettre à une postérité reculée les beautés corporelles de la reine : le bellezze corporali de la reina. Le boudoir d’Arténice était en extase devant le maigre cavalier ; on attendait avec impatience la publication, l’apparition complète de l’Adonis, ce grand poème dont il avait déjà publié quelques parties, et qui devait plonger l’Iliade et l’Odyssée dans le néant. Dès que les vingt chants de ce poème furent enfin imprimés, Chapelain, l’oracle du goût, prouva savamment, dans une lettre à M. Fauveau,

  1. Ferrari.