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LE MARINO.

particulière ; la sensualité mêlée à l’afféterie, l’emphase dans la recherche, composèrent ce breuvage d’Armide, que le grand Corneille éloigna de ses nobles lèvres. À sa dextérité corruptrice, Marino joignit les adresses et les audaces des chefs de parti ; il eut des querelles, des amis, des ennemis, des duels, des haines, des flatteurs, des princes pour séides, d’autres princes pour adversaires. Il fut un peu Tartufe, un peu Tuffière, un peu Lovelace, un peu Figaro. L’affectation du costume, la gravité de la tenue, l’ironie secrète, l’inépuisable fécondité des œuvres, devinrent ses moyens accessoires ; et, ceignant une couronne de papier doré, il fut le dieu de l’Europe.

Il y a, nous en convenons, une puissance chez celui qui s’empare de son époque, fût-ce pour la séduire et la corrompre. Ce n’est pas chose si facile qu’on le pense, de profiter des vices d’un temps, et de le dominer par la sympathie de ses propres vices. Marino, que ses biographes nomment Marini, et que la France vénéra, de 1610 à 1650, sous le nom du cavalier Marin, sut profiter de diverses circonstances favorables, qui, ménagées par son habileté, le conduisirent au point de splendeur littéraire dont nous avons vu tout à l’heure le dernier terme.

L’Italie avait dirigé, depuis deux siècles, la civilisation intellectuelle. Après avoir produit Dante, Boccace, Pétrarque, Arioste, Tasse, Bembo, Machiavel, et presque tous les maîtres de l’esprit humain au XIVe et au XVe siècle ; après avoir présidé à l’éducation de Shakspeare et de Spenser en Angleterre, de Montaigne et de nos savans en France, l’Italie s’affaissait sur ses trophées. Le tour de l’Espagne arriva. Son génie était original et isolé. C’était une sève moins sympathique, plus altière, d’un plus dangereux exemple, parce qu’elle immolait volontiers la beauté à la grandeur et la pureté à l’éclat ; féconde en traits sublimes, riche de couleurs ardentes, inépuisable en inventions héroïques ; sève vigoureuse dont le torrent usurpateur inonda tout à coup les nations européennes, courbées devant la prépondérance des Charles-Quint et des Philippe II. La lumière plus modeste et plus sereine dont la muse italique s’était couronnée pâlit alors et sembla s’éteindre, absorbée par de plus ardens rayons. Parmi les auteurs italiens, ceux-là même qui s’élevaient avec amertume contre la domination politique de l’Espagne, tels que le satirique Boccalini, Paruta et plusieurs autres, furent les premiers à livrer la littérature de leur pays à l’invasion d’un génie étranger ; ils créèrent une prose hispanique-italienne, mêlée de finesse et d’emphase,