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Au sein de cette demeure enchantée, le Marino expira peu de temps après, étouffé sous les roses de l’admiration et de l’amour publics, sollicité par la cour de Rome et celle de France qui le regrettaient et le redemandaient à grands cris, admis dans l’intimité du vice-roi espagnol, petit-fils du terrible duc d’Albe ; enfin le plus heureux, le plus célèbre, le plus chéri, le plus honoré des mortels. Les deux académies napolitaines s’étaient disputé le bonheur de l’avoir pour président, et celle qu’il avait daigné choisir renouvelait pour lui, toutes les fois qu’il se présentait, la scène de son triomphe. On accourait de toutes parts ; dès qu’il ouvrait la bouche, un tumulte d’applaudissemens[1] le contraignait à se taire (un bisbiglio tale seguiva, che bene spezzo di fermar il ragionamento era costretto.) Enfin il mourut, et ses funérailles furent célébrées non-seulement à Naples, mais à Rome, avec une pompe que je ne décrirai pas ; ce ne furent que panégyriques, homélies, dissertations, éloges, pluie de fleurs lugubres. On lui donna (ô profanation !) une statue non loin de celle de Virgile. Tout cela se passait en 1625. Il ne fallut pas vingt-cinq ans pour détruire ce trône poétique et déshonorer cette statue glorieuse.

Le cavalier Marin (comme on l’appelait en France sous Louis XIII), ou plutôt Jean-Baptiste Marino, fils d’un avocat de Naples, n’était ni cavalier ni gentilhomme. Chef de parti, on lui accorda tout ce qu’il voulait usurper. Il entraîna sur ses pas une époque entière, soumettant les intelligences à sa séduction, bouleversant un moment le domaine de la pensée, et méritant un double examen, comme révolutionnaire et comme écrivain. Il y a toujours dans de telles existences deux sortes de travaux : la vocation et le métier. Ces hommes appliquent au succès littéraire la finesse, l’habileté, l’audace, la ruse, le mensonge, la souplesse des politiques et des diplomates. Ouvriers de leur gloire en même temps que créateurs de leur faction, ils groupent les esprits, enrégimentent les intelligences, flattent, épouvantent, attirent, blessent, se vengent, établissent et consolident leur pouvoir, s’appuyant ici sur les trônes, là sur les peuples, songeant toujours à eux-mêmes et comptant sur un petit bataillon d’écoliers dévoués qu’ils se réservent le droit de récompenser ou de mettre au rebut. Dépravant ainsi le pur exercice de la pensée (ce qu’il y a au monde de plus libre et de plus indépendant), ils échangent l’estime des siècles contre la vogue et la fortune. Un orgueil intéressé les domine, et pour peu que le talent se mêle à leur intrigue, cette conspiration permanente

  1. Baïacca.