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LE MARINO.

à Madrid, que le poète triomphateur effacerait à jamais Dante, le Tasse et l’Arioste, ses prédécesseurs, peut-être Homère et Virgile, ses maîtres.

Le Marino n’était qu’un versificateur médiocre.

D’autres écriront, s’ils veulent, une biographie que nous avons lue dix fois écrite, et que les curieux peuvent aller retrouver chez Baïacca, Corniani, Ferrari, Tiraboschi et une douzaine d’autres. Un problème plus curieux s’offre à nous : comment une médiocre intelligence parvint à conquérir, au commencement du XVIIe siècle, le trône de la poésie en Europe, et pourquoi cette médiocrité a droit aujourd’hui à l’examen attentif de l’historien. Continuons le récit du triomphe.

Une foule de carrosses s’étaient avancés, à seize milles de Naples, au-devant du prétendu génie et s’étaient arrêtés à Capoue. On voyait, à la tête de cette noble cohue d’admirateurs, le marquis de Manso, ancien ami et protecteur du Tasse, homme aimable, généreux, instruit, mais qui, hélas ! n’avait pas rendu au grand homme la moitié des honneurs qu’il prodiguait à l’homme habile. Sur la Chiaja, une voiture à six chevaux, appartenant au marquis, attendait le poète, qui, fatigué de sa longue chevauchée, monta dans l’équipage, se déroba modestement à ses admirateurs, et alla se renfermer dans le couvent des pères théatins. Ce trait d’humilité et d’adresse correspondait on ne peut mieux avec le reste de son adroite conduite. Marino eût éveillé quelque peu de jalousie, s’il se fût immédiatement dirigé vers le palais qu’il s’était fait construire sur le Pausilippe, en face du tombeau de Virgile. Là, une galerie de marbre renfermait mille tableaux de grands peintres, et il faut entendre le contemporain qui la décrit dans son style affecté. « C’était sur le Pausilippe, promontoire des délices, paradis de l’Italie, que s’élevait cette habitation du Marino, belle et commode, toute remplie des dessins, des peintures et des tableaux dus aux plus célèbres maîtres de tous les temps, car ces nobles caprices faisaient la joie et la volupté du poète, et il n’y avait pas un seul artiste de talent qui ne voulût acheter au prix d’un de ses chefs-d’œuvre l’amitié du grand homme[1]. »

    de lettres, miracle des génies, stupeur des muses, honneur du laurier ; gloire de Naples, prince très digne des cygnes oisifs, Apollon non fabuleux des muses italiennes ; dont la plume glorieuse donne au poème sa vraie valeur, au discours ses couleurs naturelles, au vers son harmonie véritable, à la prose son artifice parfait ; admiré des doctes, honoré des rois, objet des acclamations du monde, célébré par l’envie elle-même ; ce peu de lignes, tribut d’un petit ruisseau, est dédié et consacré, etc. »

  1. Ferrari.