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L’ARTÉMISE À TAÏTI.

enfoncé la toiture, et les rembarqua de vive force sur la goëlette qui les avait amenés. Vainement M. Moërenhout essaya-t-il de défendre ces malheureux ; il ne réussit qu’à se faire destituer par le gouvernement des États-Unis, qui lui reprocha d’avoir agi contre les intérêts de la foi luthérienne. Une autre vengeance plus mystérieuse et plus cruelle attendait à quelque temps de là ce digne négociant. Assailli nuitamment dans sa demeure et réveillé en sursaut, il se trouva face à face d’un homme qui le renversa d’un coup de hache, et tua sa femme d’un second coup. Cet assassin était un sujet anglais qui échappa à la justice locale, et qui, en assassinant M. Moërenhout, croyait sans doute servir les haines de ses coreligionnaires. Tant de services rendus aux sujets français, et si cruellement expiés, méritaient quelque retour de la part de notre gouvernement. M. Moërenhout fut accrédité par la France auprès des autorités de Taïti.

Mais des outrages pareils ne pouvaient pas demeurer impunis. Les Îles Sandwich avaient été le théâtre de scènes à peu près semblables, et l’intolérance religieuse appelait une répression éclatante. La Vénus et l’Artémise reçurent toutes les deux des instructions à ce sujet. La Vénus, capitaine Dupetit-Thouars, arriva la première à Taïti, et par un singulier hasard elle s’y croisa avec l’expédition du capitaine Dumont-D’Urville, composée des corvettes l’Astrolabe et la Zélée. À l’aspect de cette force imposante, grande fut la surprise des naturels, et grand aussi l’effroi des missionnaires. Le capitaine Dupetit-Thouars entra hardiment dans le bassin de Pape-Iti, et après avoir mis le village sous le feu de son artillerie, il demanda 1o  le libre accès de Taïti pour tous les Français, prêtres ou laïques ; 2o  une amende de deux mille gourdes ; 3o  un salut de vingt-un coups de canon pour le pavillon national. À une signification ainsi appuyée on ne pouvait qu’obéir. La jeune reine Aïmata entra dans une violente colère contre les missionnaires, et leur signifia de s’exécuter promptement et pour l’argent et pour le salut. La somme demandée fut portée à bord de la frégate, et Pritchard alla mettre de ses mains, sur l’île de Motou-Ta, le feu au canon qui rendait hommage aux couleurs françaises. Mais le révérend ne devait pas en être quitte pour si peu. À son tour, le commandant D’Urville se rendit chez lui, accompagné de M. Moërenhout, et en entrant il lui dit : « Monsieur Pritchard, vous êtes consul, reconnu par l’Angleterre, et c’est au consul anglais que je viens faire une visite. Quant à M. Pritchard, ministre protestant et juge taïtien, je l’aurais, s’il n’avait pas d’autres titres, fait transporter de force à mon bord, où il demeurerait aux