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s’offrit à eux comme prisonnier. La colonie entière entourait son chef, inquiète et désolée ; la famille d’Adams était en larmes, les enfans poussaient des cris, les femmes éclataient en sanglots. Jamais deuil ne fut plus réel, douleur plus vraie. Les commandans s’empressèrent de rassurer ce bon peuple. « Adams est coupable, dirent-ils, mais il a expié sa faute. Nous ne voyons plus en lui le révolté du sloop Bounty, mais le patriarche de Pitcairn. » Ces paroles calmèrent toutes les craintes, et les deux officiers quittèrent cette côte chargés de bénédictions et comblés de caresses.

Le récit de ces relâches, parvenu en Europe, valut à Pitcairn de nombreuses visites. Les navigateurs qui passaient à portée de l’îlot ne manquaient pas d’aller recueillir quelques nouvelles du bon Adams et de sa famille. Beechey, en 1825, y compta soixante-six colons ; le patriarche gouvernait encore sa colonie. Le capitaine Waldegrave ne l’y trouva plus ; Adams était mort en 1829, léguant ses pouvoirs à Édouard Young. Quoique la petite peuplade fût encore tranquille, quelques membres européens qui s’y étaient mêlés avaient introduit dans les esprits les germes de divisions nouvelles. Un incident imprévu vint grossir ces premiers symptômes de désorganisation. Sur des rapports vagues, l’Angleterre avait envoyé des navires à Pitcairn, dans la crainte que le sol de l’île ne pût suffire désormais à la nourriture des habitans. Ces hommes simples n’osèrent pas se refuser à une expatriation qu’on avait l’air de regarder comme nécessaire. Ils s’embarquèrent pour Taïti ; mais, au spectacle des mœurs licencieuses de cet archipel, leur piété s’effaroucha ; ils demandèrent à être reconduits sur leur îlot, pur de pareils scandales. On ne put, on ne voulut pas les écouter d’abord, et quand plus tard on les rendit au sol natal, ils y rapportèrent les impressions funestes qu’engendrent toujours les mauvais exemples. Aussi la discorde et les habitudes relâchées semblent-elles s’être de nouveau introduites à Pitcairn, et John Adams ne reconnaîtrait plus aujourd’hui son œuvre dans cette société livrée au dérèglement et à l’intrigue.

Cet épisode, qui se lie si étroitement à l’histoire de Taïti, nous a conduits un peu loin dans l’ordre des dates. Il faut remonter maintenant à la fin du siècle dernier, pour constater les premiers efforts de la propagande religieuse qui choisit pour théâtre les îles du groupe taïtien. Ce fut en 1797 que la société des missions de Londres envoya dans ces parages le Duff, capitaine Wilson, qui y laissa quelques apôtres dévoués. Le roi du pays était alors Pomaré : il régnait au