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L’ARTÉMISE À TAÏTI.

La découverte de Taïti, long-temps attribuée à l’Espagnol Quiros, ne semble pas remonter au-delà de la reconnaissance positive du capitaine anglais Wallis, en 1767. Wallis, à l’aide de ses canons, se fit promptement respecter sur les plages de l’île, et à ce premier succès il joignit bientôt la conquête de la reine Berea, dont les anciennes relations vantent le port majestueux. Bougainville, qui visita Taïti quelques mois après Wallis, n’aspira pas aux mêmes bonnes fortunes ; mais son équipage utilisa si bien cette heureuse relâche, que l’amiral crut devoir donner à l’archipel un nom mythologique en harmonie avec ses mœurs amoureuses. Cook, voyageur plus sévère encore, ne fut point insensible aux séductions du pays, à la candeur, aux graces de ses habitans. Il parut trois fois à Taïti, et chaque fois ce furent de nouvelles fêtes, de nouveaux élans d’affection, de nouveaux témoignages de bienveillance. Les divers navigateurs qui y jetèrent l’ancre à leur tour, l’Espagnol Bonechea, Vancouver, l’Anglais Sever du brick Lady Penrhyn, le capitaine Bligh du sloop Bounty, le capitaine New du Dedalus, n’eurent qu’à se louer également des procédés de ce peuple hospitalier et paisible. Aux fléaux que leur apportait la civilisation, ces sauvages ne surent répondre que par la résignation la plus touchante.

Parmi les évènemens qui se rattachent à cette période, aucun n’est d’un intérêt plus réel que la révolte du sloop de guerre Bounty, commandé par Bligh, compagnon de Cook. Bligh était l’un de ces hommes intraitables qui amassent autour d’eux des tempêtes. Depuis long-temps des haines sourdes couvaient parmi les officiers de son équipage. Elles éclatèrent en avril 1789, vingt jours après que le sloop Bounty eut quitté les ports taïtiens. Le lieutenant Christian était le chef du complot : on s’empara du capitaine et de dix-huit hommes qui lui étaient restés fidèles ; on les jeta dans une embarcation avec quelques vivres, un quart de cercle et une boussole. La mer fut propice à ces malheureux ; Bligh revit Sydney pour devenir plus tard gouverneur de la Nouvelle-Galles du sud. Cependant le sloop Bounty demeurait à la merci des insurgés. Que faire ? où aller ? comment se dérober à un juste châtiment ? L’avis de Christian était de gagner une île déserte. On songea à Toubouaï ; mais des querelles avec les naturels rendirent bientôt ce séjour inhabitable ; il fallut retourner à Taïti. Alors une scission se déclara. Les midshipmen Stewart et Heywood demandèrent à rester à Pape-Iti ; Christian ne se crut pas en sûreté sur des parages fréquentés par des navires de guerre ; il remit à la voile.