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sur les avirons, ils entraînèrent la masse flottante aux acclamations des naturels rassemblés sur le rivage. Il était temps ; de droite et de gauche, et presque à toucher le navire, des lames furieuses déferlaient sur le récif.

L’Artémise mouilla ce soir-là dans le canal intérieur, sur des eaux tranquilles et à portée de pistolet d’une côte enchanteresse. Des pirogues chargées de fruits sillonnaient ce bassin, et venaient opérer quelques échanges le long du bord. Les hommes qui les montaient étaient d’une belle taille et bien conformés. Chez ceux que défiguraient des haillons européens, l’aspect extérieur n’avait rien d’avenant ; mais les autres, couverts d’un simple pagne, se faisaient remarquer par des formes athlétiques, ornées d’un élégant tatouage. Plusieurs jeunes gens portaient des couronnes de fleurs ou de feuillage posées avec une certaine coquetterie. Quoique peu réguliers, leurs traits avaient une expression de douceur et de gaieté qui n’était pas sans charmes. Chez tous ou presque tous, les cheveux étaient rasés sur le sommet et le derrière de la tête, de manière à ne laisser d’intact que la partie destinée à encadrer le visage. Les premiers rapports que l’on eut avec ces indigènes furent pleins d’effusion, d’intimité et de bienveillance. Quelques femmes, venues dans les pirogues, auraient même désiré pousser les choses plus loin, et les pères, les frères, les maris, offraient aux matelots les services de ces belles, à l’aide d’une pantomime fort significative. Mais l’Artémise n’étant point encore hors de danger, le commandant interdit de la manière la plus formelle toute communication de ce genre. Aucune femme ne fut admise à bord, et celles qui avaient essayé de violer la consigne furent impitoyablement chassées. C’était une privation légère : les pirogues ne portaient guère que le rebut du sexe taïtien.

L’horrible travail des pompes durait toujours et tenait sur pied un équipage accablé de fatigue. Quand on put croire la frégate hors de péril, ce service devint plus rebutant encore, et à diverses reprises des symptômes d’insubordination firent sentir la nécessité d’appeler le concours des bras indigènes. À la moindre interruption dans le travail, l’eau gagnait de nouveau du terrain, et réveillait les inquiétudes passées. De toutes les manières, il fallait donc gagner le port de Pape-Iti. Le capitaine Abrill avait sondé le chenal : il le déclarait praticable pour la frégate. On leva l’ancre, les embarcations prirent la remorque, quelques voiles furent déployées, et après deux heures de marche, dans lesquelles l’Artérnise, dirigée par le capitaine anglais, fit des prodiges d’évolution, on mouilla devant Pape-Iti,