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L’ARTÉMISE À TAÏTI.

de la France. C’était, suivant eux, une puissance de second ordre, incapable d’intervenir dans des affaires lointaines et disposant à peine de quelques corvettes de guerre. Il importait de dissiper ces illusions, de venger ce discrédit moral, de faire acte de présence, de rétablir l’autorité de notre pavillon. L’expédition de deux frégates fut résolue. Opérant en sens opposé, elles devaient, chacune de son côté, traverser l’Océanie, jeter l’ancre dans ses principaux archipels, prêter main-forte aux résidens français et aux missionnaires catholiques. L’une de ces frégates était la Vénus, placée sous les ordres du capitaine Dupetit-Thouars ; l’autre était l’Artémise, que commandait le capitaine Laplace. L’itinéraire de la première devait la conduire dans les mers du Sud par le cap Horn ; la seconde, doublant le cap de Bonne-Espérance, avait pour mission de parcourir les échelles de la Chine et de l’Inde, puis d’accomplir son tour du monde à la suite de stations intermédiaires dans les divers groupes de la Polynésie. C’est l’Artémise que nous allons suivre, en choisissant l’un des épisodes les plus intéressans de sa longue campagne.

Partie de Toulon en janvier 1837, l’Artémise arriva dans l’Inde vers la fin de juillet, après avoir successivement mouillé à Table-Bay, à Bourbon, à Maurice et, aux Séchelles. Dans le cours des deux années 1837 et 1838, elle promena le pavillon français dans les mers asiatiques, se montra dans le Gange, où elle ne paraît pas avoir atteint de résultats bien décisifs, poussa une reconnaissance plus fructueuse sur la côte ouest de Sumatra, visita Colombo dans l’île de Ceylan, Cochin, Calicut, Mahé, Goa, Bombay, sur la côte de Malabar, Diù et Maskat dans le golfe d’Oman, puis se rendit à Moka dans la mer Rouge. L’Artémise se trouvait dans ces parages quand l’Angleterre sut négocier, à prix d’argent, la cession d’Aden, et il ne semble pas que M. Laplace ait compris toutes les conséquences de ce fait, accompli presque sous ses yeux. La présence d’une frégate française pouvait ébranler les résolutions du chef arabe qui vendit aux Anglais cette clé du golfe arabique. On n’essaya rien dans ce but : l’Artémise quitta Moka et passa devant Aden sans se préoccuper de ces négociations mystérieuses. Quelques relâches dans les ports de la presqu’île indienne et une croisière peu significative dans la mer de Chine complètent cette partie du voyage et conduisent l’Artémise à Hobart-Town et à Sydney. C’est de ce dernier port qu’elle se dirigea vers les îles polynésiennes.

Dès les premiers jours qui suivirent le départ, de fâcheux évènemens marquèrent la traversée. Un canot fut emporté par les lames ;