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la ferme confiance qu’au besoin l’épée victorieuse du noble duc sortirait du fourreau pour le maintien de l’ordre. Espartero répondit à cette dernière phrase par un geste négatif, mais sans ouvrir la bouche, et quand il fut arrivé devant la maison qu’habitait sa majesté, il entra, laissant M. Perez de Castro confondu.

Espartero vit la reine une première fois ce jour-là ; il la revit quelques jours après à Esparraguerra. Il fut, dit-on, insignifiant dans la première entrevue, injurieux et violent dans la seconde. Dès le premier jour, il aborda la question politique et se prononça contre le ministère, contre les cortès, contre la loi des ayuntamientos. La reine, reconnaissant dans les argumens dont il se servait les suggestions étrangères qui l’avaient poussé, entreprit de lui répondre et lui répondit en effet avec une grande supériorité. Battu sur tous les points, il se retira, non sans avoir été quelque peu subjugué. Quand il revint, il avait changé de ton ; il ne discutait plus, il commandait. La reine résista avec courage cette fois, comme elle avait précédemment débattu avec esprit ; mais elle avait désormais perdu tout espoir de ramener Espartero : son rêve était dissipé.

Barcelone accueillit leurs majestés avec un enthousiasme extraordinaire. On vit dans cette terrible ville, que tant de scènes sanglantes ont souillée, les portraits des deux reines exposés dans toutes les rues, entre deux cierges allumés. La foule se découvrait en passant devant ces images révérées, comme si elles eussent été l’objet d’un culte religieux. La population de Barcelone s’était accrue pour ces jours de fête d’un concours immense venu de la côte et des îles ; les autorités de la province de Tarragone eurent à expédier pour leur part plus de quarante mille passeports.

Les premiers jours se passèrent en réjouissances ; mais la reine et les ministres étaient loin de partager l’allégresse générale. Ils savaient qu’Espartero viendrait à Barcelone, dès qu’il aurait pris Berga et dispersé les restes de la faction, et ils ne doutaient pas que son arrivée ne fût le signal de graves évènemens. L’ayuntamiento de Barcelone, élu sous l’empire de la constitution de 1812, et composé des plus fougueux descamisados, attendait au contraire avec impatience l’arrivée du duc de la Victoire. Depuis l’arrivée des reines, cet ayuntamiento ne laissait pas échapper l’occasion de braver l’autorité royale. De son consentement, des écriteaux contenant les articles de la constitution tracés à la main avaient été suspendus à tous les piliers de bois qui soutiennent les réverbères de la Rambla, et celui de ces arti-