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jamais à se démentir ainsi ; les autres pensèrent au contraire que, puisque le cabinet avait consenti à rester après la publication de la lettre de Linage, il était engagé sur cette question et ne pouvait pas se montrer intraitable après avoir cédé. C’était d’ailleurs le moment où les opérations militaires paraissaient près de recommencer ; tout annonçait que le dernier champion de la cause carliste, Cabrera, allait être forcé de céder devant l’ascendant vainqueur d’Espartero. Une rupture avec le généralissime aurait tout remis en question. Le gouvernement céda ; Linage put revêtir l’écharpe de maréchal-de-camp, et les trois ministres dont l’entrée aux affaires avait tant choqué Espartero quelques mois auparavant, MM. Narvaez, Montes de Oca et Calderon Collantes, se retirèrent volontairement.

Cette concession aurait dû calmer Espartero ; elle ne fit que lui donner plus de confiance. Dans ces divers changemens ministériels, deux ministres étaient restés debout, le président du conseil, M. Perez de Castro, et M. Arrazola, ministre de la justice. Tout le ressentiment du généralissime se porta sur eux, et il ne songea plus qu’à les renverser à leur tour, afin qu’il fût bien démontré que nul ne pouvait résister à son autorité.

Cependant les cortès nouvellement élues s’étaient rassemblées, et leur esprit fortement modéré s’était manifesté dès leurs premières discussions. Les ministres crurent le moment venu de frapper un grand coup, et ils proposèrent le fameux projet de loi sur les ayuntamientos, ou municipalités. Par ce projet de loi, l’influence des exaltés était ruinée sans retour. D’après le système électoral actuellement en vigueur, les municipalités exercent une grande action sur les élections pour le congrès ; elles sont elles-mêmes instituées, depuis les évènemens de la Granja, dans les formes réglées par la constitution de 1812, c’est-à-dire sur des bases extrêmement démocratiques. La nouvelle loi, en changeant le système, les enlevait à l’impulsion des clubs, et tranchait ainsi dans sa racine toute intervention des exaltés dans le gouvernement. Les dernières élections avaient prouvé que, même avec des municipalités élues sous l’empire de la constitution de 1812, et en présence de l’opposition du tout-puissant Espartero, l’élan irrésistible de l’esprit public pouvait donner une majorité modérée ; que serait-ce donc quand le pouvoir municipal, source de l’élection, ne serait plus livré à la multitude !

Les exaltés, sentant bien que c’était là pour eux une question de vie ou de mort, se disposèrent à livrer un combat à outrance. Leur dernier espoir était désormais dans le quartier-général ; ils entourèrent