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ESPARTERO.

Il était aidé et souvent dirigé, dans ses manœuvres au quartier général, par des commissaires anglais, qui avaient su se concilier l’estime et l’amitié du généralissime. Le gouvernement français avait envoyé aussi des commissaires ; mais impuissans contre ces intrigues, ils étaient sans influence.

Promptement avertis du mécontentement d’Espartero, les exaltés se hâtèrent de faire tous leurs efforts pour l’exploiter à leur profit. De sourdes rumeurs ne tardèrent pas à courir sur les rapports du ministère avec le quartier-général, et contribuèrent à aigrir le dissentiment. Une polémique s’établit dans les journaux sur les dispositions du duc de la Victoire ; enfin, moins d’un mois après la dissolution des cortès, parut dans le journal exalté d’Aragon la fameuse lettre de Linage. Dans cette lettre, le secrétaire d’Espartero, tout en ayant soin de conserver en apparence une situation équivoque et mesurée, se déclarait implicitement contre le ministère. Le duc de la Victoire était bien loin, disait-il, de prétendre exercer une action quelconque sur les affaires de l’état, et il éprouvait le besoin de démentir hautement tout ce qui avait été dit à ce sujet ; mais il était vrai que, selon l’opinion du noble duc, la dissolution des chambres n’aurait pas dû être prononcée, et que les diverses mutations qui avaient eu lieu dans le personnel des administrations publiques étaient, toujours au jugement du duc, beaucoup plus nuisibles qu’utiles. La lettre finissait, comme toujours, par de chaleureuses protestations de dévouement au trône d’Isabelle II, à la régence de son auguste mère, et à la constitution de 1837.

Cette lettre fit beaucoup de bruit. C’était le pendant de l’adresse des officiers de Pozuelo. Si Espartero ne l’avait pas dictée, comme on l’a dit, à coup sûr il l’avait autorisée : ces façons d’agir, détournées et pleines de réticences, étaient tout-à-fait dans ses habitudes. Quoique le manifeste ne fût pas absolument en faveur des exaltés, ceux-ci crièrent victoire, et toutes les voix du parti célébrèrent les louanges d’Espartero d’un bout de la Péninsule à l’autre. Le moment était des plus critiques, car c’était le moment des élections. Les deux partis se livraient un combat acharné autour de l’urne du scrutin, et celui des deux qui pouvait y jeter l’épée d’Espartero se croyait sûr de la victoire. Les ministres en masse offrirent leur démission. La reine les pria de garder encore quelque temps leurs portefeuilles, et écrivit au duc pour lui demander des explications. Espartero répondit d’une manière évasive sur le ministère, mais en renouvelant les plus brûlans témoignages d’une fidélité en-