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sur les forces disséminées dans l’Aragon et la Catalogne, ne le suivit pas. Il le laissa arriver ainsi jusqu’aux portes de Madrid, et ne sortit de son repos que lorsque la capitale vit ses faubourgs occupés par les soldats de Cabrera. Il accourut alors en toute hâte au secours de Madrid ; mais, si don Carlos avait eu plus de résolution, il serait arrivé trop tard. Il trouva l’armée carliste en pleine retraite ; ses troupes entrèrent par une des portes de la ville et sortirent immédiatement par l’autre, pour se mettre à la poursuite de l’ennemi.

Nous avons dit ce qu’il y a eu d’exagéré dans le système de temporisation suivi par Espartero ; nous allons dire maintenant ce que ce système avait de sage. Quand le commandement en chef fut donné à Espartero, il ne trouva que le débris d’une armée, et ce débris était le dernier espoir du trône constitutionnel. Le moindre échec eût été irréparable pour un gouvernement épuisé. Espartero dut se faire un devoir de ne rien risquer qu’à coup sûr ; il dut songer, avant tout, à recomposer une armée. La désorganisation était telle que les généraux étaient en révolte permanente contre leur chef, les officiers contre les généraux, les soldats contre les officiers. D’horribles massacres avaient lieu dans le sein même des troupes constitutionnelles ; la mort des généraux Saarsfield et Escalera, assassinés par leurs propres soldats, avait révélé combien le désordre était profond et effrayant. Espartero a mis sans doute trop de temps à guérir ces maux ; mais enfin il les a guéris, et ce n’est qu’à force de circonspection et de prudence qu’il a pu y parvenir.

Un de ses premiers soins fut de punir les assassins de Pampelune et de Miranda. Il dissimula d’abord l’horreur que lui inspiraient ces atroces attentats, et attendit pour les venger qu’il eût rétabli un peu de confiance dans l’armée ; puis, dès qu’il se crut sûr de l’obéissance, et que l’esprit militaire fut un peu relevé par quelques avantages sur les carlistes, il se fit justicier, et avec un appareil aussi inattendu que hardi.

En passant à Miranda de Ebro, le 30 octobre 1837, il fit former en bataille la division de la garde royale infanterie, la seconde et la troisième divisions de l’armée, les batteries volantes de campagne, et le régiment provincial de Ségovie. S’étant placé au milieu du carré formé par ces troupes, il leur fit sentir l’énormité du crime qu’elles avaient commis ; dix soldats reconnus pour être les principaux auteurs de l’attentat contre Escalera, furent extraits des rangs ; Espartero leur fit administrer les secours de la religion, et les fit fusiller ; puis il fit défiler l’armée autour de leurs cadavres, déclarant que, s’il