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REVUE. — CHRONIQUE.

l’amour, d’exclamations sur les ruines et les vicissitudes des empires, de plaisanteries parfois burlesques et de réflexions politiques fort sérieuses. La sève n’y manque pas ; mais aucune pensée originale ne domine. L’exilé est une espèce d’Anacharsis constitutionnel qui a fait son éducation politique par les voyages, et il parle des membres influens de l’opposition française sous la restauration, avec autant d’enthousiasme que Pythagore eût parlé des sages de l’Inde ou de l’Égypte. Tous les personnages qui se remuent dans ce drame ont un caractère passablement barbare, et ne sont guère de nature à nous plaire. L’Exilé a, néanmoins, obtenu en Grèce un succès populaire. L’auteur, M. Soutzos, occupe le premier rang dans la littérature de son pays, et nous devons savoir gré à M. Jules Lennel, son traducteur, de nous avoir fait connaître cette production. M. Lennel, voyageur distingué, possède parfaitement les langues du Levant : c’est un avantage que n’ont pas toujours ceux qui les professent ; mais, tout en rendant justice à la parfaite exactitude de sa traduction, nous lui ferons le reproche de s’être borné à un simple travail de reproduction. Nous aurions voulu trouver, en tête de ce roman, quelques détails sur l’état de la littérature grecque moderne. M. Fauriel, dans sa belle introduction aux chants populaires, en avait dit quelques mots ; mais il s’est, la plupart du temps, borné à la poésie des Klephtes. Le livre de M. Fauriel date d’ailleurs de 1824 ; depuis ce temps, bien des évènemens se sont accomplis ; l’indépendance a été reconquise. Mais la renaissance littéraire a-t-elle commencé, après la reconstitution politique ? Les espérances de M. Fauriel se sont-elles réalisées ? Le jour qu’il semblait entrevoir dans un avenir prochain, le jour glorieux de la culture intellectuelle, est-il enfin venu ? Hélas ! non. Il y a deux ans, la patrie d’Aristophane et de Sophocle n’avait pas même un théâtre. À part les chants populaires, expression naïve et spontanée de sentimens énergiques et personnels, la poésie écrite et méditée, la poésie de l’art et du livre, n’offre en général que des imitations plus ou moins heureuses des littératures de l’Europe. Le poète grec, selon qu’il a plus ou moins long-temps séjourné en Allemagne, en Italie, en France, s’inspire des poésies allemandes, italiennes ou françaises. Les évènemens militaires, la satire politique, font d’ordinaire tous les frais de ses vers. Alexandre Soutzos, l’auteur de l’Exilé, a imité la Némésis dans une feuille mensuelle en vers qui paraissait sous le titre de la Balance grecque. Il a publié en outre deux volumes de poésies politiques, le Panorama de la Grèce, et il s’occupe en ce moment d’un grand poème imité de Childe-Harold. Panaguiotos Soutzos, son frère, Athanase Christopoulos, Spiridion Tricoupis, et Georges Sakellarios, qui ont écrit des poésies élégiaques et bachiques, forment à peu près toute la pléiade grecque. Il faut citer encore Constantin Oikouomos, qui a fait imprimer à Berlin, en 1835, un poème élégiaque en l’honneur d’Alexandre, empereur de Russie. Quant au théâtre, les auteurs dramatiques en sont encore à Pyrame et Thisbé. La prose, depuis dix ans, ne s’est guère enrichie d’aucune œuvre originale vraiment notable. C’est toujours de l’imitation ou de la traduction ; c’est, par exemple, la Sagesse du bonhomme Richard, l’Alexis de Mme de Wyttenback, la Géographie de