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est écrite de verve ; comme les jolis petits airs qu’il compose encore tous les jours pour Mme Damoreau. Heureux homme qui trouve Mme Damoreau pour chanter sa musique, et Taglioni pour la danser !



REVUE LITTÉRAIRE.

Le nombre des ouvrages d’imagination dont la critique peut parler avec quelques développemens diminue de jour en jour ; aussi nos lecteurs comprendront-ils sans peine le silence que nous gardons sur la plupart des romans et des recueils poétiques. Quand on s’adresse au public pour l’entretenir de ses impressions, il faut avoir l’occasion d’appliquer, d’élargir, de modifier ou de contrôler les idées générales dont se compose l’ensemble des théories littéraires. Or, il faut bien le dire, peu de livres offrent l’intérêt indispensable dont nous parlons ; notre tâche, si nous étions moins avares de paroles, se réduirait donc à une série de négations qui n’intéresseraient personne. Nous aimons mieux exprimer plus rarement notre opinion et choisir le sujet de nos analyses de façon à pouvoir donner à notre pensée une forme moins sévère.

Le recueil de poésies intitulé Provence n’autorise pas mieux que la Cité des Hommes et le Camp des Croisés, une conclusion définitive sur le talent de M. Adolphe Dumas. La lutte de la pensée et de la forme rebelle ne s’est jamais, nous le croyons, montrée sous un aspect plus affligeant, plus douloureux que dans quelques parties du livre de Provence. De cette lutte à la pratique savante de l’art, il y a loin, et M. Adolphe Dumas ne doit pas être surpris que le public ait accueilli avec sévérité les productions élevées sans doute, mais confuses, où il a essayé de traduire sa pensée. Le combat, nous l’espérons, tournera à l’avantage du lutteur persévérant ; toutefois les applaudissemens ne peuvent devancer la victoire, et il appartient aux spectateurs de juger, avec une sévérité bienveillante, les chances d’une lutte qui se prolonge encore.

Une pensée qui se reproduit presque à toutes les pages de Provence peut établir une sorte d’unité entre les diverses pièces qui composent le recueil. Cette pensée, c’est la consolation et l’oubli cherchés dans la retraite par le poète méconnu et découragé. Le poète a quitté Paris pour la Provence, non seulement afin de retremper son ame dans le spectacle de la nature du midi et de ses radieux horizons, mais afin de guérir une plaie profonde et saignante, la plaie de ses illusions perdues, de son ambition trompée. C’est là le mal qui l’obsède sous les pâles oliviers, qui le poursuit le long des prés verdoyans ou des étangs limpides. Tantôt le mal irrité s’épanche en paroles amères ; tantôt il s’apaise, il se calme, grace au baume divin que versent sur la plaie l’azur du ciel, la fraîcheur des eaux vives, le parfum des bruyères.