Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/503

Cette page a été validée par deux contributeurs.
499
REVUE. — CHRONIQUE.

elle ne doit pas laisser retomber dans la barbarie une terre si fertile, couverte de villes riches et importantes, et qui, sous le gouvernement de Méhémet-Ali et par la protection de la France, doit reprendre dans l’Orient la position élevée qu’elle y a jadis occupée. La Syrie, en effet, a été une des contrées les plus peuplées de la terre ; la seule ville d’Antioche, un demi-siècle avant qu’elle ne tombât au pouvoir des Turcs, renfermait six cent mille habitans, et le géographe arabe Kalil, fils du visir du Caire Chahin-el-Taher, comptait encore, en 1450, dans cette province, vingt mille villages et six millions d’habitans. Sa population présente est bien éloignée d’atteindre ce chiffre, mais ses ressources sont encore les mêmes, sa position toujours admirable et son commerce même encore très considérable. L’industrie surtout y a beaucoup moins souffert que l’agriculture. Damas seule fabrique quatre cent mille pièces de soieries mêlées de coton d’une valeur de 6 millions de francs.

Alep fabrique des étoffes mêlées de soie et d’or d’une solidité supérieure à celles de Lyon, d’un prix beaucoup moins élevé, et qui trouvent un grand débit en Turquie, en Perse et en Arabie. Mais c’est surtout à Damas, depuis le tremblement de terre qui fut si funeste à Alep en 1822, que le commerce de Syrie a pris un immense développement. Bagdad, la Mecque, Constantinople, Erzeroum, Smyrne, le Caire, Alep, Naplouse, y envoient des caravanes.

La caravane de Bagdad à Damas apporte de Perse des tabacs, des tapis, de la soie, des gommes, des noix de galle et des perles ; des Indes, de l’indigot, des châles, des mousselines ; de Bagdad même, des châles et des manteaux de coton. En retour, elle prend des étoffes de Lyon mêlées de soie, d’or et d’argent, des galons de Lyon, des bonnets de Marseille, des velours de Gênes, des lamettes du Tyrol, des satins de Florence, et surtout des étoffes de Damas et d’Alep.

La grande caravane de la Mecque y apporte des gommes, des parfums d’Afrique et d’Arabie, du café, des mousselines et des épices de l’Inde. Les caravanes de Constantinople et de Smyrne apportent principalement à Damas les produits de l’industrie européenne : le pacha ne devra rien négliger pour établir un mouvement plus direct entre l’Europe et Damas. Par la caravane, Erzeroum envoie du cuir, des harnais, produits du pays, des soieries de Perse et des châles de Cachemire ; le Caire, quelques fabrications égyptiennes ainsi que les gommes et l’ivoire de l’Afrique ; Naplouse, le coton ; Alep, ses belles étoffes, ses feutres, ses pistaches et sa terre savonneuse ; enfin, par les ports de la côte, Damas reçoit le riz de l’Égypte, des produits européens et des denrées coloniales.

Méhémet-Ali, en s’emparant de la Cilicie et en joignant Tarfous et Adana aux points commerciaux de la Syrie, a acquis une position commerciale aussi importante que la position politique que cette conquête lui a donnée.

La plaine de Cilicie est d’une longueur de vingt-cinq lieues sur douze à quinze de largeur. Arrosée par trois belles rivières, dominée par des montagnes couvertes de riches bois de construction, elle pourrait par elle-même fournir à un commerce considérable. Mais sa réunion à la Syrie offre de bien