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que, livré corps et ame aux Anglais, il ne saurait pas leur tenir tête. Il leur a tenu tête, il n’a pas voulu leur céder, et aujourd’hui certaines gens, de bas étage il est vrai, et en bien petit nombre, l’accusent presque du résultat amené.

M. Thiers et M. Guizot ont bien fait de se conduire comme ils l’ont fait. Il n’y avait pas deux partis à prendre : entre une indigne faiblesse ou la séparation, la séparation valait mieux.

Voici, du reste, comment les choses se sont passées. Un instant le cabinet français a failli réussir à éclairer l’Angleterre et à conjurer le danger.

Trouvant une négociation presque conclue, M. Thiers a pensé qu’il fallait épargner les amours-propres engagés, et, pour cela, profiter du temps que lui avait ménagé le général Sébastiani. Aux deux mois qu’on lui avait assurés, il a su en ajouter trois. Il n’a rien brusqué, il n’a affiché la prétention de faire prévaloir aucun plan, il s’est contenté de montrer les inconvéniens du plan proposé à Londres, et il a laissé voir, bien qu’avec modération, qu’il y avait telle ou telle solution à laquelle la France s’opposerait péremptoirement.

Que voulez-vous faire en Orient ? a dit le cabinet français à toutes les cours. — Vous voulez priver le vice-roi de ce qu’il possède actuellement, vous voulez qu’après la bataille de Nézib qu’il a gagnée sans l’avoir provoquée, vous voulez qu’il ait moins de territoire qu’auparavant ; vous voulez ôter à Méhémet-Ali des provinces qu’il saura organiser, pour les rendre au sultan, qui s’épuisera pour les garder sans y réussir. Vous faites l’empire ottoman plus faible, plus agité, car vous diminuez le vassal qui peut sauver l’empire, au profit du suzerain qui ne saura ni l’administrer ni le défendre ; le pacha satisfait sera le plus utile soutien de son maître, sinon par vertu, au moins par un intérêt évident, car il voudra garder non-seulement l’Égypte, mais aussi Constantinople, contre tout le monde ; si donc on veut sincèrement le bien de la Porte, il faut la raccommoder avec le pacha sans sacrifier celui-ci.

Mais, ajoutait le cabinet français, de quelque manière qu’on pense à cet égard, qu’on croie devoir verser du côté du pacha ou du sultan, quels moyens a-t-on pour vaincre le pacha et lui imposer un traité dont il ne voudra pas ? Ces moyens sont insuffisans ou dangereux.

Ils sont insuffisans, si on se borne à le bloquer en Égypte et en Syrie au moyen d’une flotte anglaise. Il s’enfermera dans ses ports, et puis, quand il sera poussé à bout, il fondra sur Constantinople, et mettra l’Europe en feu.

Les moyens sont dangereux si on veut transporter une armée en