Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/484

Cette page a été validée par deux contributeurs.
480
REVUE DES DEUX MONDES.

dans la négociation. On a donc suspendu les pourparlers, et le cabinet du 1er  mars a su gagner encore cinq mois ; et sans les évènemens du Liban, il est probable que la question, encore ajournée, eût insensiblement abouti au statu quo, la meilleure des solutions dans l’embarras où l’Europe était placée.

Voilà la vérité rigoureuse, que l’on ne comprendra bien qu’en remontant un peu haut dans l’exposé des faits. Nous les avons puisés à bonne source.

La France n’a jamais eu, depuis dix ans, que deux politiques à suivre, celle de l’isolement ou celle des alliances.

Rester seule, et appuyer telle ou telle solution suivant les circonstances, en se portant vers les uns ou les autres, était une politique forte sans doute, mais toujours coûteuse et menaçante. Il fallait, pour une telle politique, que la France restât armée, presque sur le pied de guerre ; que, lorsqu’elle trouverait tout le monde contre elle sur une question, elle menaçât l’Europe de ses deux forces, la guerre et la révolution. Mais c’était là une politique dure, alarmante, presque odieuse pour le monde. En s’alliant à l’une des puissances, elle pouvait alors, par des voies plus douces, celles des négociations et des transactions, arriver à des résultats tout aussi profitables, avec l’avantage de calmer les esprits en France et en Europe, et de ramener à elle les gouvernemens effrayés. C’était, en un mot, la politique la plus humaine ; la France l’a préférée et a bien fait.

Résolue à s’allier à quelqu’un, la France pouvait-elle s’allier à d’autres que l’Angleterre ? Évidemment non. Ceux qui lui conseillaient l’alliance russe étaient de purs rêveurs. La Russie affectait un éloignement blessant. La Prusse et l’Autriche avaient de notre révolution un effroi mal dissimulé. L’Angleterre seule, ayant de nos institutions le goût et l’habitude, regardait notre révolution d’un œil philosophique, la Russie d’un œil jaloux, et inclinait visiblement vers nous. Il n’y avait ni à choisir ni à hésiter.

Il fallait être seuls, c’est-à-dire toujours armés, toujours menaçans, ou être alliés de quelqu’un, et, en étant alliés, l’être de l’Angleterre.

Toute autre politique était non-seulement absurde ; elle était plus, elle était impossible.

M. Thiers a donc eu raison de dire qu’il fallait persévérer le plus possible dans l’alliance anglaise, et ne s’en retirer que lorsqu’il serait prouvé aux yeux du monde que l’Angleterre avait tort contre la France. Il a eu raison de parler ainsi, car la France, en revenant à la politique de l’isolement, c’est-à-dire à la politique armée et mena-