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MADAME DE LONGUEVILLE.

lui devient suspecte ; elle craint de n’être docile qu’en apparence, et parce qu’en obéissant on plaît, qu’on regagne par là l’estime qu’on a perdue. Il lui semble, en un mot, voir jusque dans cette docilité son orgueil qui se transforme, s’il faut ainsi dire, en Ange de lumière, pour avoir de quoi vivre. Effrayée, elle s’arrête, elle ne peut que s’écrier à Dieu, face contre terre, à travers de longs silences : Sana me et sanabor.

Mais une lettre de M. Singlin qu’elle reçoit, et qu’elle lit après avoir prié, la console en lui prouvant que ce serviteur de Dieu ne désespère pas d’elle ni de ses plaies. Je pourrais, si c’était ici le lieu, multiplier les extraits encore, et trahir sans ménagement, dans toute leur subtilité naïve et leur négligence déjà vieillie, ces délicatesses de conscience d’un esprit naguère si élégant et si superbe, à présent si abaissé et comme abîmé. Elle se connaît dorénavant, elle se décrit et se décompose à nu. Sa description, en un endroit, tombe juste avec ce qu’en dit Retz, et semble précisément y répondre. On se rappelle cette paresse et cette langueur, qu’il nous peint interrompue tout d’un coup chez elle par des réveils de lumière. Voici la traduction chrétienne et moralement rigoureuse de ce trait d’apparence charmante. Encore une fois, je ne demande pas pardon pour le négligé du récit ; tout indigne qu’on est, quand on s’est plongé à fond dans ces choses, on se sent tenté plutôt de dire comme Bossuet parlant du songe de la princesse Palatine : Je me plais à répéter toutes ces paroles, malgré les oreilles délicates ; elles effacent les discours les plus magnifiques, et je voudrais ne parler plus que ce langage.

« En recevant la lettre de M. Singlin, qui m’a paru fort grosse, écrit Mme de Longueville, et qui par là me faisoit espérer bien des choses de cette part qui est présentement ce qui m’occupe, je l’ai ouverte rapidement, comme ma nature me porte toujours à mon occupation d’esprit ; comme au contraire (je dis ceci pour me faire connaître) elle me donne une si grande négligence et froideur pour ce qui n’est pas mon occupation présente, qui est toujours forte et unique en moi. Et c’est ce qui me fait croire violente et emportée aux uns, parce qu’ils m’ont vue dans mes passions ou même dans mes plus petites inclinations et pentes ; et à d’autres, lente et paresseuse, morte même, s’il faut user de ce mot, parce qu’ils ne m’ont pas vue touchée de ce dont je l’ai été, soit en mal, soit en bien. C’est aussi pourquoi l’on m’a définie comme si j’eusse été deux personnes d’humeur même opposée, ce qui a fait dire quelquefois que j’étais fourbe, quelquefois que j’étais changée d’humeur, ce qui n’était ni l’un ni l’autre, mais ce qui venait des différentes situations où on me trouvait. Car j’étais morte, comme la mort, à tout ce qui n’était pas dans ma tête, et toute vivante aux moindres parcelles des choses qui me