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et les petites notes de M. Poisson sont dignes de toute l’attention des savans[1].

Au reste M. Poisson n’était pas seulement un géomètre du premier ordre ; c’était en tout un homme supérieur, et ceux qui l’ont approché savent qu’il avait des opinions arrêtées et fort remarquables sur toute chose. Ce n’est pas un des moindres caractères de cette supériorité que d’avoir pu, sans aucune instruction littéraire, et ayant appris fort tard à peine assez de latin pour deviner les mémoires d’Euler, se distinguer même comme écrivain, car il avait un style sévère, mesuré et éminemment clair, sans ornemens inutiles, mais aussi sans sécheresse. Il excellait surtout dans les analyses et dans ces introductions destinées à traduire en langage ordinaire les résultats généraux de ses recherches, et il a mérité à cet égard plusieurs fois les éloges de M. Villemain, excellent juge, qui a toujours apprécié les qualités du style scientifique de M. Poisson.

Les opinions philosophiques de M. Poisson étaient celles du XVIIIe siècle. Cela doit vous expliquer, monsieur, pourquoi, dans les sciences, il s’attacha plutôt aux résultats qu’aux méthodes, et pourquoi il préféra toujours l’analyse à la synthèse. Cependant, avec l’âge, et comme d’autres géomètres, il commença à se préoccuper de certaines difficultés métaphysiques qui ont arrêté les esprits les plus subtils. C’est ainsi, par exemple, qu’il fut amené à vouloir démontrer

  1. M. Poisson ne voulait jamais s’occuper de deux choses à la fois, et lorsque, dans ses travaux, il lui venait à l’esprit un projet de recherche qui ne se rattachât pas immédiatement à ce qu’il faisait alors, il se contentait d’écrire quelques mots dans son petit portefeuille. Les personnes auxquelles il communiquait ses idées scientifiques savent que, dès qu’il avait terminé un mémoire, il passait sans interruption à un autre sujet, et qu’habituellement il choisissait dans son portefeuille les questions dont il devait s’occuper. Prévoir ainsi d’avance les problèmes qui offrent des chances de succès, et savoir attendre, avant de s’y appliquer, pour ne pas entraver la marche de ses autres travaux, c’est faire preuve d’un esprit pénétrant et méthodique à la fois. Dans son portefeuille, il a inscrit deux différentes classes de questions, qu’il a appelées du premier ordre et du second ordre. Plusieurs, la variation des grands axes par exemple, et l’action capillaire, qui s’y trouvent indiquées, ont déjà été traitées par lui. Pour d’autres, après s’en être occupé, il a marqué l’impossibilité d’en tirer des résultats importans. Enfin, il en reste encore un grand nombre qui mériteraient de fixer l’attention des géomètres, comme ayant été par M. Poisson jugées susceptibles d’être résolues. Voici quelques-unes de ces questions.

    « Équations algébriques et numériques… rien à espérer. » — « Intégrales définies… rien à espérer… » — « Revoir la théorie des nombres. » — « Problèmes de géométrie dépendans des différences mêlées… feuilleter tous les mémoires d’Euler. » — « Électricité dans le cas de trois corps. » Etc., etc.