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son père. Toutefois, les personnes qui prétendaient connaître bien le caractère d’Agostini, disaient tout bas que, s’il eût tué le colonel, il s’en serait vanté. Un autre bandit, connu sous le nom de Brandolaccio, remit à Colomba une déclaration dans laquelle il attestait sur l’honneur l’innocence de son camarade ; mais la seule preuve qu’il alléguait, c’était qu’Agostini ne lui avait jamais dit qu’il soupçonnât le colonel.

Conclusion, les Barricini ne furent pas inquiétés ; le juge d’instruction combla le maire d’éloges, et celui-ci couronna sa belle conduite en se désistant de toutes ses prétentions sur le ruisseau pour lequel il était en procès avec le colonel della Rebbia.

Colomba improvisa, suivant l’usage du pays, une ballata devant le cadavre de son père, en présence de ses amis assemblés. Elle y exhala toute sa haine contre les Barricini et les accusa formellement de l’assassinat, les menaçant aussi de la vengeance de son frère. C’était cette ballata, devenue très populaire, que le matelot chantait devant miss Lydia. En apprenant la mort de son père, Orso, alors dans le nord de la France, demanda un congé, mais ne put l’obtenir. D’abord, sur une lettre de sa sœur, il avait cru les Barricini coupables, mais bientôt il reçut copie de toutes les pièces de l’instruction, et une lettre particulière du juge lui donna à peu près la conviction que le bandit Agostini était le seul coupable. Une fois tous les trois mois Colomba lui écrivait pour lui répéter ses soupçons qu’elle appelait des preuves. Malgré lui, ces accusations faisaient bouillonner son sang corse, et parfois il n’était pas éloigné de partager les préjugés de sa sœur. Cependant, toutes les fois qu’il lui écrivait, il lui répétait que ses allégations n’avaient aucun fondement solide et ne méritaient nulle créance. Il lui défendait même, mais toujours en vain, de lui en parler davantage. Deux années se passèrent de la sorte, au bout desquelles il fut mis en demi-solde, et alors il pensa à revoir son pays, non point pour se venger sur des gens qu’il croyait innocens, mais pour marier sa sœur et vendre ses petites propriétés, si elles avaient assez de valeur pour lui permettre de vivre sur le continent.

VII.

Soit que l’arrivée de sa sœur eût rappelé à Orso avec plus de force le souvenir du toit paternel, soit qu’il souffrît un peu devant ses amis civilisés du costume et des manières sauvages de Colomba, il annonça