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Le blessé prit le crayon du portefeuille et chercha à écrire. De fait, le témoin le vit former avec peine plusieurs caractères ; mais ne sachant pas lire, elle ne put en comprendre le sens. Épuisé par cet effort, le colonel laissa le portefeuille dans la main de la femme Pietri, qu’il serra avec force, en la regardant d’un air singulier, comme s’il voulait lui dire, ce sont les paroles du témoin : « C’est important, c’est le nom de mon assassin ! »

La femme Pietri montait au village lorsqu’elle rencontra M. le  maire Barricini avec son fils Vincentello. Alors il était presque nuit. Elle conta ce qu’elle avait vu. Le maire prit le portefeuille, et courut à la mairie ceindre son écharpe et appeler son secrétaire et la gendarmerie. Restée seule avec le jeune Vincentello, Madeleine Pietri lui proposa d’aller porter secours au colonel dans le cas où il serait encore vivant ; mais Vincentello répondit que s’il approchait d’un homme qui avait été l’ennemi acharné de sa famille, on ne manquerait pas de l’accuser de l’avoir tué. Peu après le maire arriva, trouva le colonel mort, fit enlever le cadavre, et dressa procès-verbal.

Malgré son trouble, naturel dans cette occasion, M. Barricini s’était empressé de mettre sous les scellés le portefeuille du colonel, et de faire toutes les recherches en son pouvoir ; mais aucune n’amena de découverte importante. Lorsque vint le juge d’instruction, on ouvrit le portefeuille, et sur une page souillée de sang on vit quelques lettres tracées par une main défaillante, bien lisibles pourtant. Il y avait écrit : Agosti…, et le juge ne douta pas que le colonel n’eût voulu désigner Agostini comme son assassin. Cependant Colomba della Rebbia, appelée par le juge, demanda à examiner le portefeuille. Après l’avoir long-temps feuilleté, elle étendit la main vers le maire et s’écria : Voilà l’assassin ! Alors, avec une précision et une clarté surprenante dans le transport de douleur où elle était plongée, elle raconta que son père ayant reçu peu de jours auparavant une lettre de son fils, l’avait brûlée, mais qu’avant de le faire, il avait écrit au crayon, sur son portefeuille, l’adresse d’Orso, qui venait de changer de garnison. Or, cette adresse ne se trouvait plus dans le portefeuille, et Colomba concluait que le maire avait arraché le feuillet où elle était écrite, qui aurait été le même que celui sur lequel son père avait tracé le nom de son meurtrier ; et à ce nom le maire, au dire de Colomba, aurait substitué celui d’Agostini. Le juge vit en effet qu’un feuillet manquait au cahier de papier sur lequel le nom était écrit ; mais bientôt il remarqua que des feuillets manquaient également dans les autres cahiers du même portefeuille, et des témoins déclarèrent que