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SAVANTES.

tule. Mais lorsque la monarchie eut reçu de ce côté l’accroissement auquel visait son ambition et qu’il lui fallut défendre toute sa nouvelle ligne avec la seule forteresse de Graudentz, elle se trouva trop vulnérable de ce côté pour ne pas ménager jusqu’à l’extrême indulgence le formidable voisin qu’elle s’est donné ; juste punition qu’elle partage avec l’Autriche de sa coupable coopération à la ruine de la Pologne. Elles ont cru qu’elles seraient plus puissantes après s’être partagé ce royaume, et, dans la réalité, elles se sont affaiblies, car elles ont perdu la franchise et l’indépendance de leurs allures. À Berlin comme à Vienne, on tremble devant la Russie, on craint de l’irriter. Avant de prendre un parti, on l’observe, on la consulte. Frédéric-Guillaume subissait les conséquences de cette situation, et la peur de déplaire à la cour de Saint-Pétersbourg était encore plus forte chez lui que le désir d’être agréable à la France.

Ce prince était donc, par ses qualités comme par ses défauts, l’expression vivante de cette politique à la fois passive et ambitieuse que son père avait adoptée après la paix de Bâle. Aussi s’y attacha-t-il avec force et conviction, comme au seul système qui convenait alors à son pays. La nouvelle coalition qui se forma contre la France, en 1799, le trouva inébranlable dans ce système. Il résista à toutes les influences qui tendaient à l’en arracher, aux impulsions violentes de Paul Ier et à l’appât des subsides anglais, aussi bien qu’aux instances du directoire. Nos revers en Italie et l’imminence d’une invasion de nos provinces de l’est et du midi n’allumèrent point en lui le désir d’abuser de notre détresse pour nous accabler. Dans cette occasion, il sut triompher des tendances cupides du comte d’Haugwitz, qui, nous croyant perdus, et craignant que notre ruine n’entraînât, pour la Prusse, la perte, sans compensation, de ses duchés de Clèves et de Juliers, voulait nous en déposséder et les occuper de vive force. « L’Autriche a repris le Milanais, disait ce ministre à M. Otto ; il est juste que nous reprenions ce qui nous appartient. Nous ne pouvons consentir à laisser nos provinces exposées aux ravages d’une armée russe. » — « La république n’y consentira pas non plus, » répondit le représentant du directoire. « Eh ? le peut-elle ? s’écria alors le comte d’Haugwitz. Je suis fâché de vous le dire, mais vous n’avez plus de ressources ; vous n’avez ni troupes, ni argent, ni esprit public. Croyez-moi, la Hollande ne tiendra pas un mois, la Belgique sera bientôt envahie, et le roi doit à ses anciens sujets de les mettre à l’abri d’une invasion. » Masséna et Brune firent mentir le ministre prussien ; ils se partagèrent la gloire de sauver la France, l’un à