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SAVANTES.

De son côté, le directoire se montra généreux et habile à l’égard de la Prusse : il oublia tous ses torts et lui exprima sa volonté d’élever le parti protestant, dont elle est le chef, sur les ruines du parti catholique, soutien de la puissance de l’Autriche en Allemagne. Mais pour prix de cette grandeur qu’il lui offrait en partage, il lui demanda de concourir loyalement avec la France à la pacification de l’Europe.

Frédéric-Guillaume II était alors mourant, son ministère divisé, ses finances délabrées. Les haines qu’avait soulevées la révolution étaient vivaces encore dans l’esprit de ce prince. En abandonnant la cause de la coalition, il n’avait eu qu’une pensée, c’était d’abriter sa faiblesse sous la garantie d’une neutralité habile et circonspecte, et il ne s’était pas retiré du champ de bataille pour y rentrer sous les drapeaux de la révolution. Tous les efforts du directoire pour l’entraîner furent inutiles. Telles étaient les relations de la Prusse avec la France, lorsque Frédéric-Guillaume II mourut et laissa le trône à son fils.

Frédéric-Guillaume III avait vingt-sept ans lorsque les droits de sa naissance l’appelèrent au gouvernement de la monarchie prussienne. Dans l’état où se trouvaient les affaires générales de l’Europe et celles de la Prusse en particulier, le caractère et les idées du nouveau roi devaient nécessairement exercer une action décisive sur la politique de son cabinet et sur les destinées de l’Europe.

Ce jeune prince avait eu une éducation négligée. Son père, jaloux de son autorité, et plus occupé de ses maîtresses que de mettre son fils en état d’occuper dignement le trône, n’avait pris aucun soin de le former aux affaires. Livré à son indolence naturelle, Frédéric-Guillaume III avait un esprit peu cultivé. Ses connaissances étaient superficielles, son aptitude au travail médiocre ; mais il suppléait à ce que l’étude ne lui avait point donné par un bon sens remarquable. Son jugement droit et sûr le trompait rarement, et ses fautes ne furent jamais des erreurs de son esprit, mais de son caractère. Aucun prince ne porta sur le trône et dans les affaires une ame plus sincèrement éprise du bonheur du peuple, une conscience plus délicate, une bonne foi plus scrupuleuse. Il a prouvé, principalement dans la journée d’Auërstaedt, qu’il savait, sur un champ de bataille, affronter le danger comme le dernier de ses soldats ; mais dans le gouvernement de l’état, il manquait de nerf et de décision. Dans les occasions graves qui réclamaient des résolutions promptes et vigoureuses, il ne savait presque jamais saisir le moment où il fallait passer de l’immobilité à l’action : non toutefois qu’il manquât précisément de fermeté, mais