Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/360

Cette page a été validée par deux contributeurs.
356
REVUE DES DEUX MONDES.

gens qui voudraient acquérir un nom à tout prix, et qui nous posent, pour ainsi dire, le pistolet sur la gorge, en nous disant la bourse, la gloire, ou la vie ! Aujourd’hui que la presse a de si nombreux organes, et que les moyens de publication sont si répandus, il semblerait qu’on ne fit pas grand tort à un auteur en lui rendant poliment son œuvre et en lui conseillant d’aller chez le voisin ; mais il n’en est rien. La Revue des deux Mondes a été baptisée du nom d’arche sainte, et, bon gré mal gré, on veut y entrer. L’ancien cénacle, tant envié, a été attaqué avec plus de force, mais avec moins de violence. Il y aurait de quoi nous rendre fiers, si les assiégeans étaient plus redoutables, et si tel d’entre nous ne se souvenait pas que le gardien de la citadelle, au moment même où il venait de fermer sa porte à un visiteur presque illustre, frappait à celle d’un poète presque inconnu, qui, en quatre ans, avait fait six mille vers et gagné 500 francs.

Quoi qu’il en soit, nous espérons que le public, en lisant les articles de nos récens adversaires, comprendra facilement les raisons qui nous empêchent d’insérer tout ce qu’on nous présente. Nous espérons aussi que cette colère maladive s’apaisera ; peut-être cette triste chose est-elle plus à plaindre encore qu’à blâmer, car elle naît ou de la pauvreté, qui est respectable, ou de l’ambition, qui veut l’être. On cherche un peu de fortune ou un peu de bruit ; on voudrait bien faire, et l’on ne sait que faire. L’encre et le papier sont les moins coûteux de tous les outils ; on se fait littérateur aujourd’hui comme autrefois abbé ou chevalier, à sa guise ; on écrit et on veut être lu, et, pour être lu, être imprimé : tout cela n’a rien que de naturel, mais il ne faut pas aller trop loin.


— Sous le titre d’Études sur les Réformateurs contemporains, ou Socialistes modernes, M. Louis Reybaud vient de publier l’ensemble de ses travaux sur Saint-Simon, Charles Fourier et Robert Owen, travaux dont les lecteurs de la Revue ont pu apprécier l’intérêt et la portée. Des conclusions toutes nouvelles et des aperçus érudits sur les origines et la filiation de ces utopies complètent le livre et lui donnent un bel intérêt d’ensemble. Dans un moment où ces doctrines aventureuses cherchent à attirer sur elles l’attention du public, il est utile de savoir comment elles ont été appréciées par une critique sage et judicieuse. Nous reviendrons sur cet ouvrage, qui au mérite de l’exécution unit le mérite des tendances.


V. de Mars.