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THÉÂTRE ESPAGNOL.

les en exclure. Elles ne pouvaient manquer de tomber dans l’obscurité où disparurent indistinctement toutes celles des anciennes comédies qui, jugées par la nouvelle école d’après la rigueur des règles classiques, ne furent pas trouvées conformes à un système que leurs auteurs n’avaient pas connu ou n’avaient pas voulu suivre. Sur ce point plus que sur tous les autres, la réaction fut rigoureuse jusqu’à l’injustice, parce que les Espagnols, en proscrivant ces objets de la pieuse admiration de leurs ancêtres, ne croyaient pas seulement faire preuve d’un goût plus pur, mais aussi d’un esprit plus éclairé, d’une raison dégagée enfin des préjugés superstitieux du moyen-âge. Pour être en mesure d’apprécier avec équité ce qu’il y a de beau, de noble, de partiellement vrai dans certaines erreurs, pour avoir la force de rendre hommage aux bons côtés d’un système justement condamné dans son ensemble, il faut avoir si complètement dissipé ces erreurs, si radicalement renversé ce système, que le retour n’en soit plus possible ; il faut même que depuis la victoire il se soit écoulé assez de temps pour calmer l’irritation de la lutte et pour rendre aux esprits la sécurité et le calme, indispensables conditions de l’impartialité. Les Espagnols de la fin du dernier siècle n’en étaient pas encore là, à beaucoup près, en ce qui se rapporte aux principes d’exagération et d’intolérance religieuses. Aujourd’hui même, malgré les pas immenses que la Péninsule a faits depuis trente années, les souvenirs de l’inquisition ne sont pas assez affaiblis pour que les hommes qui il y a vingt ans, tremblaient encore, sinon devant ses bûchers, du moins devant ses cachots, puissent entendre, sans une irritation à laquelle se mêle peut-être un reste d’effroi, la reproduction même la plus brillante et la plus poétique de ses odieuses maximes. L’éclectisme moderne, qui consiste à chercher dans le mal le peu de bien qui s’y trouve mêlé, et à l’en dégager en l’exagérant outre mesure, cette qualité ou cette maladie des intelligences blasées, dont l’Europe presque entière est aujourd’hui plus ou moins affectée, n’est pas encore, on le comprend sans peine, à la portée de l’Espagne. Les passions et les souffrances y sont trop vives pour se prêter à de pareils jeux. Nous ne nous étendrons pas plus longuement sur une idée dont les développemens nous entraîneraient trop loin. Il nous suffira, pour la rattacher au sujet qui nous occupe, de faire remarquer qu’elle explique ce qu’il y a d’excessif dans la défaveur où sont tombés, en Espagne, ces mêmes drames religieux dont la méditative et paisible Allemagne se plaît à exalter la sublimité parfois imaginaire.


Louis de Viel-Castel.