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THÉÂTRE ESPAGNOL.

la foi seule est essentielle, la vertu n’en est qu’un accessoire dépourvu par lui-même de toute efficacité, et dont un rayon de repentir peut largement compenser l’absence. Il serait plus que superflu de faire ressortir quelle funeste influence une pareille doctrine devait exercer sur la morale publique.

Un autre principe non moins universellement admis à cette époque et dont le théâtre espagnol porte également témoignage, principe qui, au surplus, est en quelque sorte le corollaire obligé du précédent, c’est que l’hérésie est le plus grand des crimes ; c’est qu’il n’est pas de châtiment trop sévère pour la punir, pas de précaution trop rigoureuse pour la prévenir ou l’étouffer à sa naissance ; c’est qu’en vue d’un but aussi salutaire, aussi sacré, toute autre considération doit s’effacer ; que les hérétiques, les ennemis de la croyance catholique, sont placés en dehors des lois de l’humanité ; que tout est permis, soit pour les ramener à la foi, soit, s’ils s’y refusent, pour les anéantir, et que les promesses de tolérance ou d’indulgence qu’on leur aurait faites sont nulles de droit comme contraires à la loi de Dieu.

Ces maximes révoltantes étant, en réalité, celles qui servaient de base à l’inquisition, qui dirigeaient tous ses procédés et pouvaient seules les justifier, il n’y a pas lieu de s’étonner de les trouver citées dans les ouvrages des poètes espagnols du XVIIe siècle, comme autant d’axiomes incontestables ou plutôt comme des idées parfaitement naturelles, comme des lieux communs dont la négation constituerait un inacceptable paradoxe. On voit parfaitement, aux locutions proverbiales qu’emploient ces poètes, aux plaisanteries même qu’ils placent à tout propos dans la bouche de leurs bouffons, que la qualification d’hérétique constituait alors la plus grossière et la plus cruelle injure, que la pensée de l’hérésie éveillait immédiatement et inévitablement dans les esprits celle du feu et du bûcher, que le meurtre des mécréans passait pour un acte aussi glorieux que méritoire, et qu’on croyait fermement pouvoir tout se permettre à leur égard, la perfidie comme la cruauté.

Ici encore, en parcourant le théâtre espagnol pour y chercher des exemples à l’appui de cette assertion, nous n’avons que l’embarras du choix. Nous pourrions citer la Vierge du Sanctuaire, où Calderon nous montre la mère de Dieu glorifiant la violation des engagemens pris par un traité formel avec les Maures de Tolède, pour les maintenir dans la possession de leur grande mosquée, et venant tout exprès proclamer qu’il n’est pas de plus grand péché que de garder la parole donnée aux infidèles. Nous nous arrêterons de préférence à un autre drame assez peu connu du même auteur, le Schisme d’Angleterre, dont la conception nous paraît offrir un caractère d’originalité tout-à-fait particulier.

Calderon y a embrassé un bien vaste sujet, la lutte d’Henri VIII contre le protestantisme, puis ses amours avec Anne Boulen, son divorce, sa rupture avec l’église de Rome qui en fut la conséquence, la disgrace du cardinal Wolsey, premier auteur de cette révolution, la mort sanglante de la malheureuse Anne, et enfin, après tous ces évènemens historiques plus ou moins défigurés, un fait purement imaginaire, le repentir de Henri VIII et son