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espérer reconquérir l’amour de la vieille reine, toute entière à sa tendresse pour Essex. Alors, cet homme qui vient du bout du monde, et qui a espéré l’Eldorado, se plonge sans réserve dans les intrigues dont la reine est environnée. Ligué avec Cobham et Cecil, Raleigh ourdit lentement la chute du favori, dont l’imprudence et l’ardeur juvénile l’exposaient sans cesse à leurs coups. La Revue d’Édimbourg atténue encore ici les machinations odieuses de Raleigh. Malheureusement, comme il écrivait admirablement bien, il les a toutes écrites et développées ; elles existent, consignées dans une lettre de sir Walter à son confédéré Cecil, lettre que Murdin a publiée. C’est là qu’il faut lire les conseils machiavéliques de Raleigh, sur le danger de souffrir à la cour un adversaire jeune, entreprenant et aimé, sur les moyens de diminuer son crédit et de miner sa faveur, sur les piéges qu’on peut lui tendre, en le livrant à ses propres défauts, et sur l’excellence d’un plan qui ruine l’ennemi par l’excès de sa faveur même, et le ruine à jamais. La jalousie que le jeune Essex avait inspirée à Walter Raleigh, datait de loin. « Moi, dit-il en parlant de la prise de Cadix, à laquelle Essex et lui avaient pris part, je n’y ai gagné qu’une blessure et une jambe paralysée. D’autres ont recueilli tous les avantages de la journée ; je venais trop tard, la moisson était faite, et je n’eus pour moi que la pauvreté et les douleurs. » Il faut avouer qu’Essex, dans son arrogance et sa violence, se montra plus généreux que Raleigh : « Je pourrais l’accuser devant un conseil de guerre (disait Essex), pour m’avoir désobéi et avoir pris Fayal sans mon ordre ; mais il est mon ennemi déclaré, je ne le ferai pas. »

La mort d’Essex, décapité sur l’échafaud, fut le triomphe de Raleigh ; et le peuple, en voyant, le jour de l’exécution, auprès du jeune comte et du bourreau, la cuirasse d’argent du capitaine des gardes, son ennemi mortel, fit retentir un si menaçant murmure de haine contre ce dernier, et de pitié pour la victime, que Raleigh, averti par le cri populaire, descendit de cheval, prit un bateau, et se retira. Le batelier le ramenait à sa demeure, pendant que lui, couché dans le bateau, méditait sur cette tête de favori qui tombait, sur l’autre favori Cecil qui vivait, et sur sa position auprès de Cecil, naguère son allié, maintenant son seul rival. « Une pensée, dit Osborne, rapide comme l’éclair, le frappa. Cecil, devenu tout-puisant, pouvait le perdre. » Cecil le perdit.

Il méritait de tomber à son tour, quels que fussent la supériorité de son intelligence, son talent d’écrivain et sa juste gloire d’homme de guerre. Essex mort, il s’occupa de vendre aux partisans d’Essex son