lieues et qui assourdissait notre monde. Je me rappelai la description que Berreo avait faite de l’éclat du diamant et des autres pierres précieuses disséminées dans les différentes parties du pays. J’avais bien quelque doute sur la valeur de ces pierres ; cependant leur blancheur extraordinaire me surprit. Après un moment de repos sur les bords du Vinicapara, et une visite au village du cacique, ce dernier me promit de me conduire au pied de la montagne par un détour ; mais, à la vue des nombreuses difficultés qui se présentaient, je préférai retourner à l’embouchure du Cumana, où les caciques des environs venaient d’apporter divers présens consistant en productions rares du pays. »
N’est-ce pas chose misérable dans l’histoire de l’esprit humain que cette belle navigation, cette entreprise soutenue avec tant d’audace et d’habileté, n’ayant pour résultat et pour fruit qu’un grand conte de fée, et la création fantastique de cette cité de Manoa et de cette montagne d’or et de perles ? À son retour, Raleigh publia sa relation, remplie d’amazones, d’hommes sans tête, et d’autres inventions, exposées dans ce style simple, énergique, facile et grandiose, dont il avait le secret. Nous pensons, avec la Revue d’Édimbourg, qu’il croyait à l’existence des mines d’or qu’il cherchait ; nous regardons la chimérique poésie dont il a recouvert sans scrupule cette création miraculeuse, comme un appât livré aux imaginations de ses contemporains et à leur cupidité. Il va jusqu’à inventer une prophétie qui promet, dit-il, aux Anglais la possession de la Guyane ; et, pour mettre dans ses intérêts la reine dont il connaît les faiblesses, il raconte, à l’instar de l’ambassadeur que nous avons cité, l’extase admirative d’un cacique auquel le portrait d’Élisabeth « arracha, dit-il, des cris d’enthousiasme et d’amour. »
La seule conquête réelle que cette expédition ait value à Walter Raleigh fut littéraire. Son récit, mêlé de fables, n’est pas seulement élégant, comme le dit Camden, il est éloquent et persuasif. Toujours plus attentif à convaincre et à entraîner, comme chef d’entreprise, qu’à briller comme écrivain, il continuait à pousser, dans cette belle route de simplicité nerveuse et de facilité énergique, la prose anglaise qui n’a pas eu de plus grand artiste que lui. La gloire ne lui manquait pas ; Shakspeare reproduisait dans ses vers quelques-unes des merveilles dont Raleigh avait entretenu le public ; il était, à tous les yeux, un homme extraordinaire ; mais la confiance et l’estime le fuyaient ; Élisabeth, qui n’avait d’extravagance que dans ses passions, pesant dans la balance du bon sens et de l’expérience les dé-