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bres nombreux et de feuillages touffus. Il donna à l’une de ces pointes le nom de Red-Cross (Croix-Rouge), et rencontra bientôt un canot chargé d’indigènes, qui essayèrent vainement de fuir. Leurs compatriotes de la rive, ayant remarqué que les Anglais ne faisaient pas de mal à leurs frères, approchèrent avec confiance, et commencèrent à faire des échanges. Un seul cacique ne partageait pas ces sentimens hospitaliers. Furieux contre celui de ses compatriotes qui avait amené les Anglais, il voulait le tuer ; il le regardait avec raison comme ayant apporté le malheur dans son pays. Ici nous emploierons le récit de Raleigh lui-même :

« J’entrai, dit-il, dans le grand bassin de l’Orénoque, que je me proposai de remonter. J’échouai, vers le soir, dans un endroit fort dangereux. Soixante personnes, occupées à jeter le lest de la galère, avaient failli périr victimes de leurs efforts ; après être parvenu heureusement à me remettre à flot, je continuai pendant trois jours mes recherches sans aucun accident. J’entrai alors dans le fleuve Amarra, qu’on ne put remonter qu’à force de rames ; ces travaux affaiblirent extrêmement mon équipage : à cela, il faut ajouter encore le manque de vivres. J’eus besoin d’employer toute mon autorité pour que l’équipage ne s’abandonnât pas au désespoir. Je représentai à mes gens qu’il était plus dangereux de retourner que d’avancer, et que l’on pourrait partout se procurer sur les rives du fleuve ce qui viendrait à manquer : en effet, on apercevait sur le rivage des fruits, des oiseaux, des animaux, même des fleurs et des plantes dans les champs. Le vieux cacique de la Trinité partageait cette opinion. Plusieurs Indiens, qui voyaient mon inquiétude secrète, me conseillaient d’envoyer des chaloupes dans une petite rivière à droite, me donnant à entendre que j’atteindrais bientôt des habitations où l’on pourrait se procurer des vivres, de manière à revenir le soir à la galère mise à l’ancre. On avait déjà ramé pendant trois heures sans voir d’habitations ; les Anglais commençaient à se défier de leurs compagnons les Indiens, pensant qu’ils étaient trahis ; déjà même ils se préparaient à se venger. Je parvins à leur faire sentir qu’ils avaient tort, et que, dans le cas même où il en serait ainsi, cette vengeance ne rendrait point leur position meilleure. Vers minuit enfin, on aperçut du feu, et nous vîmes une seule hutte où nous trouvâmes quelques sauvages. Le cacique était parti pour se rendre vers l’embouchure de l’Orénoque, et avait emmené avec lui la plupart des habitans. Nous chargeâmes nos barques de vivres. À notre retour, nous fûmes surpris de la beauté et de l’aspect florissant du rivage. Devant nous