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WALTER RALEIGH.

des renseignemens sur l’état de la Trinidad et sur le principal établissement des Espagnols, Saint-Joseph. Plusieurs marchands de la ville vinrent également, sous le prétexte de négocier ; leur but était de compter le nombre des Anglais. Raleigh, qui soupçonna leur intention, et qui désirait obtenir des renseignemens, leur fit distribuer du vin, dont ils n’avaient pas bu depuis long temps, et qui les enivra. Ils lui donnèrent toutes les explications qu’il désirait sur le sol et les ressources de la Guiane. Il leur cacha le but de son voyage. »

Cependant il tramait un complot dont Berreo, gouverneur de l’île, devait être victime. L’année précédente, Berreo avait enlevé huit hommes à Whiddon. Un cacique des parties septentrionales de la Trinité avertit Raleigh que le gouverneur venait de faire une levée de troupes à Margarita et à Cumana, pour détruire d’un seul coup les Anglais nouveaux venus. Raleigh, voulant rester maître de ce secret, défendit aux Indiens, sous peine de mort, d’avoir aucune relation avec ses ennemis. Il emprisonna les caciques dont il se défiait, et fit égorger ceux qu’on lui signala comme dévoués à l’Espagne. Le récit des tortures subies par ces malheureux indigènes fait frémir d’horreur : on versait dans leurs blessures de l’huile bouillante et du plomb fondu. Pendant la nuit, on donna l’assaut à la petite ville de Saint-Joseph, et Berreo, prisonnier, fut placé à bord du vaisseau de Raleigh. Tel fut le premier acte de ce drame singulier, auquel la perfidie et la cruauté servaient d’introduction, et dont le dénouement fut la perte de Raleigh.

Berreo, si facilement dupe, était un homme faible et crédule, qui ne doutait pas de l’existence du pays d’or que l’aventurier anglais venait conquérir. Il acheva d’enflammer par ses récits et par la sympathie de sa crédulité l’avidité de Raleigh. Empressé de réaliser sa conquête, Raleigh envoya son sous-amiral Giffort et son capitaine Calfied, avec un certain nombre d’hommes, pour examiner l’embouchure du Capuri. Giffort et Calfied trouvèrent que l’eau avait cinq pieds de profondeur après le reflux. Raleigh fit fabriquer des rames. On reconnut que quatre entrées commodes permettraient aux embarcations de pénétrer dans la baie de Capuri. Une grosse galère avec trois chaloupes fut préparée et pourvue de vivres pour un mois. Raleigh s’embarqua lui-même avec une centaine d’hommes. Il avait pour guide un Indien qui s’engagea à conduire les Anglais dans l’Orénoque ; mais le nombre infini de petits fleuves et de lacs qui se croisent à cette embouchure leur offrait un labyrinthe inextricable. Raleigh, s’y engageant, rencontra mille petites îles couvertes d’ar-