Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/277

Cette page a été validée par deux contributeurs.
273
LA PEINTURE ET LA SCULPTURE EN ITALIE.

Bartolini est un gros petit homme d’une nature forte et trapue ; ses cheveux rudes commencent à grisonner, et il doit avoir dépassé la cinquantaine. Sa physionomie, comme tout l’ensemble de sa personne, a plus d’expression que de distinction. Son œil est vif et plein de feu, ses gestes sont brusques et énergiques, et sa tenue nous a paru singulièrement négligée. À voir dans son atelier ce petit homme en blouse bleue, le marteau et le ciseau à la main, s’escrimant contre un bloc de marbre dont il détache de larges éclats, et cela tout en causant avec une certaine bonhomie brusque et parfois mordante, se plaignant de l’avarice de l’un, de l’insolence de l’autre, de la sottise du plus grand nombre, vous diriez un ouvrier spirituel, et vraiment le sculpteur florentin n’est souvent pas autre chose. Deux ou trois fois cependant il a été un statuaire de génie.

Tenerani, l’élève le plus distingué de Thorwaldsen, a égalé son maître s’il ne l’a pas surpassé. Le style de ses faciles et gracieuses productions se rapproche plutôt de la manière de Canova que de celle du sculpteur suédois. C’est un artiste sans furie ; mais s’il n’a pas la fougue de Bartolini, il en a l’abondance et la merveilleuse adresse. Tenerani n’a pas non plus les rudes dehors du Florentin. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, d’une taille élevée, de manières douces, timides même, et à la tenue virgilienne. Il y a du reste, dans ses compositions, quelque chose du feu contenu et de la sage abondance qui distinguent les ouvrages de ce prince des poètes romains. Ses conceptions sont ingénieuses et variées, ses personnages noblement et naturellement dessinés ; leurs attitudes se distinguent par la vérité et l’animation ; les draperies qui les recouvrent sont d’un grand style et bien jetées. L’été dernier, lorsque nous visitâmes ses ateliers de la place Barberini, Tenerani achevait un charmant bas-relief d’Eudore et de Cymodocée, commandé par M. de Châteaubriand lors de sa prospérité, et dont l’illustre écrivain se proposait, je crois, de faire hommage à Mme Récamier. Le sculpteur a choisi le moment où les deux victimes amenées dans l’arène vont être livrées aux lions. Leur pose est pleine d’abandon, de résignation sainte et d’exaltation sans emphase. Tout en s’élevant à la haute et virginale pureté de son sujet, l’artiste a su donner humainement et avec un rare bonheur, par l’angélique suavité des formes, par l’étreinte ardente et dernière de ces victimes purifiées, par l’entrelacement quelque peu profane de leurs beaux corps à demi nus, une sorte de sublime avant-goût des voluptés célestes auxquelles ces amans martyrs sont réservés. Dans l’un des angles du bas-relief, un bourreau