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donc pas surprenant que les nombreux amis de M. Camuccini l’aient proclamé le premier des peintres de l’époque. À notre avis, cette réputation est quelque peu usurpée.

M. Camuccini, praticien exercé, dessinateur précis, et qui entend à merveille la partie matérielle de l’art, a débuté par faire d’excellentes copies des grands maîtres de l’école romaine. On cite de lui, dans ce genre, un véritable tour de force. La fameuse Déposition de croix de Michel-Ange de Caravage était au nombre des tableaux que la victoire avait mis entre les mains des Français et allait être envoyée à Paris. M. Camuccini en fit la copie en vingt-sept jours, et cette copie, d’une fort belle exécution, rappelait d’une manière frappante l’énergique grandeur et l’expression passionnée de l’original. M. Camuccini reproduisit avec un égal bonheur plusieurs des tableaux les plus renommés de Raphaël ; mais lorsqu’il puisa dans son propre fonds, il fut moins heureux, et ses grandes compositions, si vantées, sont de très médiocres ouvrages. La Mort de César, la Mort de Virginie, Cornélie, mère des Gracques, le Banquet des dieux au palais Torlonia, et sept ou huit autres grandes pages de plusieurs centaines de pieds carrés, nous reportent, pour la manière et le choix des sujets, aux beaux temps de l’école de David. La Mort de César est le meilleur de ces tableaux, que le Brutus condamnant ses fils, de Lethiere, semble avoir tous inspirés. L’exactitude historique est à peu près le seul mérite de cette composition dont l’ordonnance est trop compassée. Rien de plus froid en effet que ce groupe des conjurés à l’œuvre ; rien de moins naturel que cette figure de César qui tombe en étendant les bras. Ce sont des acteurs qui répètent leur rôle derrière la rampe d’un théâtre, et l’on s’attend à ce que tout à l’heure de pompeux alexandrins sortiront de leur bouche. Le seul de ces personnages qui laisse un souvenir, c’est le faible Cicéron, ce type de l’irrésolution politique ; tandis qu’on frappe le dictateur, il reste assis dans sa chaise curule, n’osant s’opposer ni du geste ni de la voix à un assassinat qu’il déplore et dont il calcule déjà toutes les conséquences, mais surtout, les conséquences qui peuvent le toucher.

La Mort de Virginie, Cornélie, mère des Gracques, la Continence de Scipion, le Banquet des Dieux, sont de ces œuvres d’une médiocrité transcendante dans lesquelles on trouve peu à reprendre et encore moins à louer. Ce sont des scènes des tragédies de Campistron ou de La Harpe transportées sur la toile. L’ordonnance est convenable, le dessin correct, l’exécution irréprochable ; il n’y manque qu’une seule chose : la vie que le génie seul peut donner.