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faire en un clin d’œil le grand changement de front de la guerre à la paix européenne, de l’hostilité à l’association, sans qu’il y eût du désordre. L’intérêt bien entendu de toutes les puissances est qu’elles se rendent à la raison, et elles s’y rendront. Ce doit en être fait de la politique des temps passés, inspirée par le misérable instinct qui porte les hommes à abaisser leurs semblables à tout prix, même en faisant le sacrifice de leur élévation propre. Les hommes éminens qui gouvernent l’Europe sentent entre leurs poignets les rudes vibrations d’un ressort qui causerait des bouleversemens si l’on continuait à le presser sur lui-même. Ils savent le parti qu’on en pourrait tirer si on lui permettait de se détendre au dehors sous l’influence d’une pensée civilisatrice. Par crainte des perturbations, ou plutôt par amour de leur patrie et de l’humanité, ils s’accorderont à ouvrir une carrière à ces générations dont l’ardeur fermente. Ils voudront que notre Europe, ce petit coin du globe où est concentrée une masse extraordinaire de lumières et d’énergie, où les hommes s’entassent, où les imaginations s’échauffent, où les ambitions individuelles et collectives, les peuples et les rois, les intérêts et les idées se froissent et se heurtent, verse à l’extérieur sa force vitale en excès, qu’ils ont tant de peine à retenir. Ils le voudront bientôt, on doit le croire. S’ils ne le voulaient pas, elle déborderait malgré eux. Tout fait une loi de cette nouvelle ère d’expansion ; tout est prêt pour elle ; le matériel de la campagne est déjà réuni. Et quel pourrait en être, je ne dis pas l’unique but, mais le but principal, le but le plus glorieux, le plus digne d’exciter l’ambition des grandes ames et des ames remuantes, le plus attrayant pour l’humeur envahissante et dominatrice de l’Europe, sinon l’extrémité orientale du continent d’Asie ? Un violent instinct ne pousse-t-il pas déjà l’Europe vers ces parages ? Qu’est-ce donc qu’y vont faire en ce moment les Anglais ?

Le grand pas que fit la civilisation occidentale vers le terme de son pèlerinage autour du globe, en portant ses avant-postes de l’autre côté de l’Atlantique dans le nouveau continent, avait été précédé, comme on l’a vu, de perfectionnemens signalés dans l’art de la navigation. De même, de nos jours, elle a acquis des moyens puissans de viabilité qui réellement autorisent à répéter, en le prenant cette fois au sérieux et à la lettre, le mot de Colomb à Isabelle : El mondo es poco. Voici venir la vapeur, qui, de nos jours, paraît devoir exercer sur les destinées du genre humain une influence comparable à celle qu’eut, il y a trois ou quatre siècles, la découverte de l’imprimerie. Des véhicules inconnus de nos pères, inespérés de nous-mêmes au