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L’EUROPE ET LA CHINE.

entre amis et alliés. Les crocs-en-jambes diplomatiques ont joué avec une activité égale à celle de la meilleure artillerie. On a vu se dérouler les incertitudes, les anxiétés, les inconséquences, les contradictions, les embarras, les bévues, parlons franchement, les manques de foi et les lâchetés qui sont inséparables des transitions mal ménagées ou non ménagées et des positions fausses.

Du moment où l’on reconnaissait qu’on ne devait plus guerroyer en Europe, il convenait de rechercher les bases d’un accord durable entre les puissances. Puisque la guerre européenne était proscrite, il était tout simple de détruire en Europe les causes de guerre en donnant satisfaction à tous les grands intérêts européens, par l’organisation d’une association des puissances qui permît à chacune de se développer suivant ses tendances naturelles. Au nom de la paix, de l’harmonie et du progrès, on s’est cramponné à une politique hargneuse, envieuse, immobile, qui ne profite à personne et qui nuit à tous, qui torture tous les peuples en les refoulant sur eux-mêmes. Ainsi que l’a dit un illustre orateur dans l’un de ses plus admirables discours, à l’occasion de la question du Levant, « on s’est attaché à une politique d’exclusion et on a chicané là où il fallait une politique de magnanimité et de compensation[1]. » On a nié la guerre, mais on n’a pas constitué la paix. On a voulu la bonne harmonie de l’Europe, on en a repoussé les moyens, quoiqu’ils fussent parfaitement honorables, éminemment propices aux tendances évidentes de l’humanité, au resserrement des liens de la grande famille humaine.

Nous-mêmes, Français, qui avons l’habitude de nous distinguer par les généreux penchans de notre politique extérieure, nous qui étions les plus intéressés à la paix et qui la voulions le plus fermement, tout comme les autres nous avons fait et nous faisons de l’exclusion et de la jalousie. Nous nous sommes mis en travers des tendances les plus naturelles de notre prochain. Celle des Russes est de prédominer à Constantinople, celle des Anglais à Suez et en Syrie. Nous nous opposons aux Anglais en Syrie et à Suez, aux Russes à Constantinople. Par là nous travaillons, sans nous en apercevoir, à ce qu’au lieu d’une prédominance dont les uns et les autres se seraient contentés, ils aient une domination, au lieu d’une tutelle et d’un protectorat, la maîtrise.

Mais, je le répète, ces fausses manœuvres sont de celles qui accompagnent nécessairement les transitions brusques. L’Europe ne pouvait

  1. Discours de M. de Lamartine du 11 janvier 1840.