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prit le récit du matelot pour une preuve qu’on était dans le voisinage du Prêtre-Jean, pontife-roi dont Plan Carpin avait entretenu les Occidentaux, et sur lequel on avait répandu en Europe beaucoup de contes.

Rempli de souvenirs bibliques et de fragmens de Ptolémée que le cardinal d’Ailly lui avait appris, il fait intervenir sans cesse dans ses lettres l’île d’Ophir (qu’il qualifie de mont Sopora), et l’Aurea ou Chersonèse d’Or, tantôt les confondant et tantôt les distinguant l’une de l’autre. Dans son quatrième et dernier voyage, il affirme que la terre de Veragua (au N.-O. de l’isthme de Panama) est cette Aurea des Indes. Toujours l’Asie. M. Navarrete a trouvé dans les archives du duc de Veragua, descendant et héritier de Colomb, la copie de la main de don Fernando, fils de l’amiral, d’une lettre de son père à Alexandre VI, écrite quatre ans avant sa mort ; il y est dit : « Je découvris et pris possession de quatorze cents îles[1] et de trois cent trente lieues de la terre ferme d’Asie. » Plus tard, lorsque rebuté par le roi Ferdinand, prince sans cœur, ce grand homme réduit à la misère, et nourrissant encore, malgré son âge avancé, le projet de travaux dignes de ses hauts faits antérieurs, se plaint de ce que les terres par lui découvertes « sont inabordables pour celui qui les avait refusées à la France, à l’Angleterre et au Portugal, » il les nomme les Indes. À la fin de la dernière expédition, le 7 juin 1503, écrivant de la Jamaïque, il répétait la même idée que dans son second voyage il avait fait certifier par le serment de ses compagnons : que l’île de Cuba était une terre ferme du commencement des Indes, et que de là on pouvait retourner en Espagne par terre. Un an après, vingt-deux mois avant sa mort, il parlait comme un homme qui revient de la Chine. « J’arrivai le 13 mai dans la province de Mago (pour Mango ou Mangi, nom donné par Marco Polo à la Chine méridionale), qui est limitrophe de celle de Catayo (pour Cathay ou Kathaï, Chine septentrionale). De Ciguare, dans la terre de Veragua, il n’y a que dix journées de chemin à la rivière du Gange. » Il est donc mort, comme l’a dit M. de Humboldt, dans la persuasion qu’il avait noué le lien entre l’Europe et le vaste empire de la vieille Asie.

  1. Dans la hoja suelta, qui existe de la main de l’amiral, et qui a été écrite à la fin de l’année 1500, lorsqu’il rentra à Cadix chargé de fers, ces 1,400 îles sont portées à 1,700. « C’est, dit M. de Humboldt, une vague évaluation de l’Archipel du roi et de la reine, au sud de Cuba, évaluation qu’on pourrait croire tenir à un souvenir des 1,368 îles que Ptolémée place près de Taprobane, et que, dans la première expédition, le 14 novembre 1492, l’amiral crut déjà voir vis-à-vis de la côte septentrionale du Cuba, en fin del oriente. »