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L’EUROPE ET LA CHINE.

trompait de 86°, et plaçait ainsi la Chine aux îles Sandwich. Ptolémée, venant après Marin de Tyr, rectifia son calcul, mais il se méprit encore de 41°. Il mettait le littoral des Sères, ou Chinois, dans les parages des Carolines orientales. Colomb, par aventure, ou plutôt par une de ces inspirations que Dieu envoie à ses élus, se persuada que, de toutes ces évaluations, celle de Marin de Tyr, la plus inexacte précisément, était la plus vraie. À force de conjectures, il rétrécit encore l’intervalle maritime des deux extrémités du continent, et supputa que des îles du Cap-Vert au Cathay, comme on appelait alors la Chine septentrionale, il ne devait y avoir que 120°, ou le tiers du tour de la terre. Ce n’est pas tout : dans l’opinion accréditée alors parmi les hommes les mieux informés, par suite des récits de Marco Polo, bien avant le Cathay, du côté de l’Europe, sur le chemin de l’Espagne à la Chine par la direction de l’est à l’ouest, se trouvait, au milieu d’un archipel innombrable, une île grande et florissante où l’or et les pierreries abondaient, celle de Zipango ou Cipango (c’est l’île japonaise de Niphon). La présence de cette île ramenait la traversée, dans la pensée de Colomb, à des proportions presque ordinaires, car il résulte du journal de son premier voyage qu’il avait compté la rencontrer à sept cent cinquante lieues des Canaries.

Deux autres erreurs inspiraient à Colomb une grande confiance dans la réussite d’une expédition maritime dirigée droit à l’ouest. Sur la foi ou plutôt sur une mauvaise interprétation d’un livre apocryphe, appelé jadis dans l’église grecque l’Apocalypse d’Esdras, il admettait que les continens et les îles occupaient sur la surface de la terre un bien plus grand espace que celui qui leur appartient. Il était persuadé que six parties de la surface du globe étaient à sec, et que seulement la septième était couverte d’eau. De cette incorrecte notion de géographie physique, il concluait que, dans quelque direction qu’on s’aventurât, l’on devait trouver des terres après un assez court voyage. La méprise était forte, car le rapport réel de la superficie des terres à celle des eaux est de 1 à 2 7/10, au lieu de 6 à 1, c’est-à-dire seize fois moindre. Enfin l’amiral supposait notre planète moindre qu’elle n’est. Sur l’autorité de l’auteur arabe Alfragan, il pensait dès l’origine et il a répété plusieurs fois, dans ses rapports à Ferdinand et à Isabelle, que le monde était peu étendu (el mondo es poco). Confondant les auteurs anciens entre eux, il a dit, dans une lettre écrite d’Haïti à Isabelle : « Aristote nous apprend que le monde est petit et que facilement on peut aller de l’Espagne dans l’Inde. Ceci se trouve confirmé par Avenruiz (Aver-