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par les nécessités de leur existence éphémère. Comment auraient-ils le loisir et la faculté de plonger dans l’avenir ? L’homme songe à l’avenir de son pays quand il s’en croit un à lui-même. Les gouvernans, pour s’inquiéter de ce qui importe aux races futures, ont besoin de voir un futur quelconque devant eux. L’avenir maintenant, c’est la séance de demain ou de ce soir. Il faut avoir un coup d’œil d’aigle pour étendre son regard jusqu’à la session prochaine. Les ministres de notre temps savent qu’aucun orateur incommode ne les interpellera sur le céleste empire, qu’aucun journal de mauvaise humeur ne les sommera de s’expliquer sur le Japon. Dès-lors ces nations lointaines doivent être pour eux comme si elles n’existaient pas. Nés de petites causes, cernés de petites rivalités et de petites intrigues, destinés à mourir d’un incident gros ou microscopique, à l’improviste, entre deux portes, pour me servir d’un mot posthume d’un des plus spirituels de ces défunts, ils ne sauraient se livrer à de grandes pensées, quelque talent qu’ils aient, et certes nous avons eu aux affaires des hommes qui en étaient richement pourvus ; car en un pays où l’on a vu presque toujours depuis dix ans au ministère, séparément ou deux à deux, des hommes de la trempe de MM. Molé, Guizot et Thiers, on ne saurait prétendre que le royaume de la politique est aux pauvres d’esprit. Obligés, pour veiller à leur conservation, d’avoir l’œil fixé sur un étroit rayon autour d’eux, ils ne peuvent en conscience braquer leur lunette sur ce qui se passe au loin ; primò vivere. Ainsi de l’indifférence plus ou moins dédaigneuse que rencontrerait sur le terrain de la politique, si on l’y jetait, la pensée de relations nouvelles entre l’Europe et l’Orient le plus reculé, il ne faut point conclure que la question soit inopportune ou oiseuse. Il n’y a de conclusion à tirer que contre la politique actuelle, ou plutôt contre la fausse direction depuis long-temps imprimée aux intelligences. Quelles que soient à cet égard les dispositions des hommes politiques, il n’en est pas moins vrai que l’établissement de rapports réguliers, étroits et animés entre l’Europe et l’extrémité orientale du vieux continent serait un évènement d’une portée incalculable, immense ; il n’en demeure pas moins certain qu’en ce moment les Anglais rompent la glace et hâtent l’époque où ces deux puissans foyers de civilisation, de lumière et de richesses, situés aux deux bouts de l’ancien monde, se renverront mutuellement leurs rayons, redoubleront d’éclat et de fécondité l’un par l’autre, l’un pour l’autre. Si aujourd’hui la politique fait fi de la question et la laisse au coin de la borne, il convient qu’elle soit relevée par d’autres