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Quelques jours après la levée du siége, des dames de Valence se baignaient dans la mer, le long de la belle côte qui est à quelque distance de la ville. Comme on ne sait jamais rien à temps en Espagne, la plus parfaite confiance régnait dans la ville et dans les environs. Le journal constitutionnel de Valence contenait les plus beaux récits sur la valeur (bizarria) que les christinos déployaient au siége de Morella, et un feu d’artifice avait été préparé par les habitans pour célébrer la prise de cette place redoutée. On assurait déjà que Cabrera avait été tué, et on s’en réjouissait. Les portes de la ville étaient ouvertes ; tout respirait la joie et la paix sous ce ciel si doux et si pur, qu’il suffit de voir la lumière et de respirer l’air pour être heureux.

Tout à coup des cris s’élèvent et s’approchent, et les baigneuses effrayées voient d’affreux cavaliers soulever en courant, du bout de leurs lances, les mantilles qu’elles avaient laissées sur le rivage. Los, facciosos ! los facciosos ! À ce cri terrible, tout fuit ; les portes de la ville se referment. C’était en effet un escadron de Cabrera qui précédait le reste de son armée. On dit que le chef de cette troupe, don Ramon Moralès, ancien garde-du-corps, eut pitié des pauvres femmes qui avaient été ainsi surprises. Pendant qu’elles se cachaient de leur mieux derrière les rochers, il ordonna à ses soldats de se retirer et leur assura galamment qu’elles n’avaient rien à craindre. — Ah ! quel dommage, disaient-elles en sortant du bain et en regagnant la ville au plus vite, qu’un tel cavalier soit un factieux : que lastima que tal caballero sea un faccioso !

Cependant Cabrera mettait à feu et à sang cette magnifique huerta de Valence, qui est si célèbre par sa richesse. De tous les points de l’horizon s’élevait la fumée des villages incendiés. Le bruit des cloches et le son des tambours appelèrent bien les Valenciens à la défendre, mais nul ne se hasarda contre l’ennemi. Pendant deux jours entiers, les carlistes pillèrent à leur aise ; puis ils repartirent pour Morella aussi vite qu’ils étaient venus, poussant devant eux de longues files de chevaux et de mulets qui portaient leur butin. D’immenses quantités de blé furent déposées à la citadelle ; de grands troupeaux de bœufs et de moutons furent parqués dans les montagnes voisines ; quant à l’argent, il fut partagé entre les soldats et les chefs. On comprend maintenant qu’une pareille expédition avait dû être plus goûtée des barateros qui composaient la plus grande partie de l’armée de Cabrera, que la poursuite et la destruction d’un corps d’armée.

La terreur que cette sanglante apparition a laissée derrière elle ne s’est pas encore aujourd’hui effacée à Valence. Une aventure qui a eu