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CABRERA.

tructeurs des royaumes et des trônes, et tu me donneras la satisfaction de te récompenser comme je le désire. J’ai appris que tu as été sur le point de me donner un grand chagrin et de te perdre ; je t’ordonne de ne point t’exposer témérairement, car s’il t’arrivait quelque malheur, outre la douleur que j’en aurais, ce serait une grande perte pour moi et pour une cause qui n’est rien moins que celle de la religion. Que Dieu continue à t’accorder des victoires comme par le passé, que la très sainte Vierge des douleurs, notre généralissime, te couvre de sa mante, te protége, te dirige, te défende, et nous donne de nous voir bientôt tranquilles à Madrid, après avoir vaincu tous nos ennemis. Adieu ; je t’estime et je t’aime. « Carlos. »


Le bruit de la levée du siége de Morella se répandit promptement dans toute l’Espagne. C’était le plus grand succès et le plus inattendu que les carlistes eussent obtenu depuis long-temps ; Cabrera devint plus que jamais le héros de son parti. On a vu comment cette grande renommée lui était venue, et ce qu’il avait fait pour la gagner. Les lenteurs d’Oraa avaient la plus grande part dans ce qui était arrivé. Quant à Cabrera, il n’avait eu d’autre mérite que d’attaquer l’ennemi à tort et à travers, sans plan et sans ordre, comme un brave guerillero qu’il était.

Il ne songea même pas, après son succès, à poursuivre l’armée d’Oraa. Cette armée se retirait dans le plus grand désordre en se débandant ; elle ne se rallia qu’à Alcaniz. Si les carlistes, profitant de leurs avantages, avaient suivi les christinos l’épée dans les reins, il en serait sorti bien peu des défilés étroits qu’ils avaient à traverser ; mais ce n’est pas ainsi qu’on fait la guerre en Espagne, et Cabrera avait d’autres affaires.

Le lendemain de sa rentrée dans Morella, il rassembla toutes ses forces, laissa la ville sans défense, et partit du côté opposé à celui par où fuyait Oraa ; un seul bataillon fut mis à la poursuite des assiégeans. Si l’armée constitutionnelle, avertie de ce départ, était revenue sur ses pas, elle serait infailliblement entrée dans la ville sans coup férir, d’autant plus que la brèche était toujours ouverte ; mais Oraa n’aurait eu garde d’en concevoir seulement la pensée. Ses soldats dispersés ne songeaient qu’à dévaster le pays qu’ils traversaient, et qui garda, long-temps après leur passage, l’aspect d’une solitude désolée. Le bataillon qui les suivait leur tua ce qu’il voulut, et leur fit deux cents prisonniers, qui furent fusillés pour avoir osé marcher contre Morella. Quant à Cabrera, où allait-il ? C’est ce qu’on va voir.