Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/196

Cette page a été validée par deux contributeurs.
192
REVUE DES DEUX MONDES.

Les carlistes avaient soin d’entretenir nuit et jour leur feu ; un second assaut fut tenté, qui échoua comme le premier. La disette se mit dans l’armée d’Oraa ; quand les provisions furent épuisées, on mangea les chevaux. La démoralisation amena l’indiscipline. Oraa ordonna un assaut général ; mais cette tentative désespérée fut encore repoussée. Enfin, les christinos, laissant un grand nombre de morts sous les murs de la place, parmi lesquels l’ancien gouverneur de Morella, qui s’était laissé enlever le château si sottement, levèrent le siége le 18 août ; la brèche brûlait toujours.

Elle s’éteignit pour laisser rentrer Cabrera. L’heureux général revint en triomphateur dans sa ville délivrée. Jamais roi d’Espagne n’avait été reçu avec de tels transports d’enthousiasme. Toutes les cloches sonnaient à grandes volées. Des fanatiques se jetaient à genoux sur son passage. Un journal qui s’imprimait à Morella, sous le titre de Periodico de Aragon, Valencia y Murcia, et dont le rédacteur, qui était un vieux prêtre, allait prendre tous les soirs les ordres de Cabrera, fit une relation pompeuse du siége, et termina son article par ces mots : Nous tous, vaillans soldats de l’armée et habitans de cette héroïque et fidèle cité, nous pensons que le roi ne saurait mieux faire que de décerner, après une si grande victoire, à l’immortel Cabrera, le titre de comte de Morella.

Le titre ainsi demandé fut accordé avec le grade de lieutenant général, par décret daté d’Oñate, 2 septembre 1838. Don Carlos n’avait rien à refuser au vainqueur de l’armée du centre. Ramon, l’écolier Ramon, put signer de ce nom sonore : El conde de Morella.

Don Carlos lui écrivit en outre, pour le féliciter de cette victoire, une lettre autographe dont voici la traduction

« Mon cher Cabrera,

« Grande a été la satisfaction que j’ai eue pour la très glorieuse victoire que tu viens de remporter et pour la complète déroute des ennemis de la vraie félicité de notre chère Espagne, de mes droits légitimes et de Dieu même ; grande aussi a été ma joie d’avoir ce nouveau motif de récompenser tes services non interrompus, ta fidélité constante, ton amour, ton zèle et ton désintéressement. Je dois de grandes graces à Dieu, qui m’a donné un brave serviteur comme toi et qui l’a revêtu d’une valeur, d’une constance et d’une fidélité si grande, d’une telle application à la fin principale de notre entreprise. Soutiens-toi toujours constant et chaque fois plus ferme dans nos solides principes ; sois le couteau (el cuchillo) des impies et des des-