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POÈTES ÉPIQUES.

paraissent resplendissans de l’éclat des diamans, ou couverts des fleurs de l’asclépias gigantesque ; et ceux-ci, chargés de scolopendres odorantes, sont taillés en cristaux. Le bananier, le baobab, le dattier, y répandent leur ombre. Des couples d’oiseaux se poursuivent sur le bord des rochers. Vois ces retraites embaumées où s’abritent les petits de la tourterelle. La montagne avec ses cascades, ses fontaines jaillissantes, ses murmures, ses tressaillemens, ressemble à un éléphant enivré de fruits sauvages[1]. Où est celui qui resterait insensible à ces tièdes haleines qui s’élèvent par bouffées du fond des vallons, toutes chargées de parfums ? Dussé-je passer ici avec toi ma vie entière, le regret ne m’atteindrait pas. Au milieu de ces fleurs et de ces fruits, je sens se réveiller en moi tous mes rêves. Les sages qui m’ont précédé ont avoué que la solitude, dans le fond des forêts, est, pour les rois, aussi douce que l’ambroisie. Vois les plantes fleuries de la reine des vallées briller dans la nuit comme la flamme d’une offrande. Vois çà et là ces berceaux de délices formés par les tiges du lotus et recouverts des feuilles du blanc nénuphar !… » Ayant parlé ainsi, Rama descendit du haut des rochers, puis il montra à son épouse Mithilé le doux fleuve du Gange ; et le prince aux yeux de lotus, s’adressant de nouveau à la fille du roi, qui ressemblait à la lune émergée de l’ombre des forêts, lui dit : « Vois ce fleuve amoureux avec ses îles que fréquentent les cygnes ; ses bords ombragés ressemblent à la grotte du dieu des richesses. C’est ici que les solitaires, se laissant glisser sur des lianes, se baignent dans la saison sacrée ; et les mains levées, ils font retentir des hymnes au soleil. Alors les arbres et leurs rameaux agités par les vents secouent leurs fleurs et leurs feuilles de chaque côté du fleuve, et la montagne semble frémir et tressaillir jusqu’en ses fondemens. Vois, ô ma bien-aimée, les têtes des fleurs s’incliner sous la brise ; écoute, écoute les notes cadencées du rossignol caché dans l’ombre, et répète ses accens prolongés. Oui, j’aime mieux contempler avec toi ces sommets bleuâtres, que résider en un palais. » — C’est ainsi que Rama, le chef de la race des Rughous, conversait avec son épouse au bord du fleuve ; et, traversant la montagne, il apparaissait à ses yeux comme s’il eût été embelli par un enchantement. »

On pourrait comparer ce passage au tableau des amours d’Adam et

  1. On se souvient des ours enivrés de raisins, que la critique a tant blâmés dans Atala ; Valmiki confirme ici avec éclat M. de Châteaubriand, qui, en 1796, ne pouvait connaître le Ramayana.