Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/155

Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
POÈTES ÉPIQUES.

bons. — Ces deux jeunes hommes, l’exacte ressemblance du héros, l’image réfléchie de ses perfections, éminens dans les livres sacrés, dans les mystères de la musique, chantèrent le poème en présence des sages, et les dieux descendus de l’empyrée, et les génies et les princes des serpens, furent ravis d’étonnement et de joie. À des temps marqués, les deux princes bien-aimés recommençaient leurs chants, et les sages se réunissaient par milliers pour les écouter, les yeux immobiles de plaisir et d’admiration. Et ils s’écriaient : Ô le grand poème ! l’image fidèle de la vérité ! D’anciens évènemens nous sont montrés comme s’ils se passaient sous nos yeux. Ceux qui chantent ce poème dans cette langue de miel sont deux princes d’une origine divine. Oh ! que ce chant est pur ! les mots justement réglés sont unis entre eux par un art inoui. Ainsi réjouis par leurs chants, un sage leur présenta un vase rempli d’eau consacrée, un autre des fruits de la forêt, un troisième de riches vêtemens, ou un vase de sacrifice, ou un siége fait de bois de sandal. D’autres leur souhaitaient une prospérité sans mélange, ou appelaient sur eux une longue vie. »

Voilà donc, sur les bords du Gange, les rhapsodes d’Ionie et les ménestrels du moyen-âge. Il faut ajouter que le caractère de la théocratie est encore empreint dans cette institution. Ces rhapsodes indiens ne vont pas réjouir de lieux en lieux le festin de leurs hôtes, à la manière des Grecs. Ils seraient plutôt semblables à ceux du moyen-âge qui ne chantaient guère l’épopée carlovingienne que dans les châteaux de la féodalité. C’est dans une assemblée choisie que se répète le poème de Valmiki. Composé par un prêtre, c’est surtout par des prêtres qu’il doit être entendu. Les classes inférieures, les soudras, ne jouiront pas du bienfait de cette poésie. Ils sont exclus du monde idéal comme ils le sont, en quelque manière, du monde politique et civil.

Le Mahabaratha ne commence pas sur un ton moins pieux, car il s’ouvre par une conversation de religieux, dans un monastère consacré au dieu Brahma. Les solitaires prient un de leurs compagnons de raconter son histoire. Celui-ci cède à leurs instances ; il répète toute une épopée dans les intervalles des sacrifices, et l’Iliade orientale est chantée dans une cellule d’ermite.

Au reste, le sujet de l’un et de l’autre de ces poèmes est une guerre religieuse. Dans l’un et dans l’autre, le héros va secourir les ermites, les prêtres, les solitaires dont les autels et les monastères sont menacés par une race ennemie. Souvenir des luttes de deux peuples, de