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Arrivée à ce principe vital, la science ne chercha plus à le surprendre dans son essence cachée, mais à l’étudier dans ses effets visibles. Elle fut favorisée dans cette étude par les découvertes successives qu’avaient amenées les fausses théories elles-mêmes, soit pour se prouver, soit pour se détruire entre elles, et par celles qui furent le produit de l’observation et de l’analyse. La connaissance des divers appareils et de leur usage, la découverte de la circulation du sang par Harvey, et de l’irritabilité musculaire par Haller ; l’anatomie des organes malades, par Morgagni ; l’appréciation des tissus solides, de leur nature et de leur vitalité, par Bordeu et Bichat, permirent de mieux saisir les actes réguliers et les troubles de la vie. La médecine avait long-temps attribué les maladies au défaut d’harmonie ou à la dégénération des parties liquides du corps, ce qui avait fondé l’humorisme avec ses nombreuses variétés ; mais, prenant alors pour point de départ de l’action vitale les parties solides dont dépendaient la circulation du sang et les sécrétions des humeurs, elle plaça en elles seules les causes des maladies, et créa la théorie du solidisme moderne.

La doctrine de l’Écossais Brown, qui eut une si grande fortune à la fin du XVIIIe siècle, en fut une conséquence. D’après Brown, la santé consistait dans la quantité régulière de la force vitale ; la maladie, dans l’excès ou le défaut de cette force. Aussi, ne reconnaissait-il que deux ordres de maladies : les maladies sthéniques ou par excitation, et les maladies asthéniques ou par affaiblissement, et n’employait-il que deux genres de remèdes, les débilitans et les stimulans. Sa théorie était aussi simple à saisir que facile à appliquer, puisque le symptôme du mal en indiquait à la fois la cause et le traitement. Elle eut un succès d’abord fort étendu ; mais l’expérience ayant bientôt montré l’exagération de ce système, il fut modifié en France par Pinel, qui établit une sorte d’éclectisme médical, en Italie par Rasori et Tommasini, qui opposèrent au stimulisme de Brown la doctrine du contro-stimulisme. Obéissant à une tendance régulière, la science, qui d’humoriste était devenue solidiste, passa du solidisme général au solidisme local ; elle étudia l’action vitale et ses désordres non plus dans l’ensemble du corps, mais dans chacun de ses organes, y cherchant le siége particulier des maladies. Les travaux des grands physiologistes, des habiles médecins du temps, avaient conduit à ce résultat ; et, lorsque M. Broussais se fit réformateur, il trouva la doctrine de Brown entièrement ébranlée, l’autorité de Pinel établie, l’anatomie pathologique en progrès, et la localisation des maladies commencée de toutes parts sans être encore caractérisée. Il devint