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BROUSSAIS.

comme générales. Il remplit une lacune dans la médecine, et il le fit avec tant de sûreté et de mesure, qu’en lisant ce bel ouvrage, on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, de l’observateur pénétrant ou du théoricien circonspect. La doctrine de l’irritation était déjà comprise, quoique sans excès, dans celle de l’inflammation, d’où M. Broussais la dégagea sept ans plus tard.

L’Histoire des phlegmasies chroniques n’eut pas tout le succès qu’elle méritait. À cette époque, les travaux de l’esprit obtenaient peu de gloire, et un seul homme faisait du bruit. M. Broussais se considéra comme heureux de vendre 800 francs ses deux volumes, qui ne trouvèrent que de rares appréciateurs, parmi lesquels il faut compter Chaussier et Pinel. Nommé médecin principal d’un corps d’armée en Espagne, il partit pour la Péninsule à pied, gaiement rempli du sentiment de sa force, et décidé peut-être à produire un système saillant et complet dès la première occasion.

Cette occasion se présenta à la paix de 1814. Jusque-là M. Broussais avait continué assez silencieusement ses travaux[1], qui l’avaient engagé de plus en plus dans des voies nouvelles. Cessant alors de suivre les armées, et nommé bientôt second professeur à l’hôpital militaire du Val-de-Grace, sur l’indication et par le crédit de M. Desgenettes[2], il n’hésita plus à se faire réformateur. Le respect qu’il avait eu pour l’autorité de Pinel, et qui l’avait empêché, comme il l’avoua plus tard, de dire toute sa pensée dans l’Histoire des phlegmasies chroniques, cessa de l’arrêter. Il tira hardiment les conséquences du principe de l’inflammation, et il émit sa fameuse doctrine de la médecine physiologique, à la formation de laquelle un incident personnel n’avait certainement pas été étranger. Cette anecdote est trop caractéristique pour que je ne la raconte point.

Pendant que M. Broussais était à Nimègue, il avait été saisi par une fièvre grave et d’un mauvais caractère. Il reçut la visite et les conseils de deux médecins de ses amis, dont l’un recommanda les cordiaux et le quinquina pour échapper à une fièvre adynamique, et dont l’autre pensa qu’il fallait recourir aux purgatifs pour combattre une fièvre putride. Embarrassé entre ces deux avis et ces deux trai-

  1. Le seul travail important qu’il publia entre 1808 et 1814, fut un Mémoire sur la circulation capillaire, tendant à faire mieux connaître les fonctions du foie, de la rate et des glandes lymphatiques, imprimé dans les Mémoires de la Société médicale d’émulation ; Paris, 1811, tom. VII, pag. 1 et suiv.
  2. Qu’il remplaça plus tard comme premier professeur, lorsque M. Desgenettes quitta le Val-de-Grace pour être inspecteur-général du service de santé des armées.