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BROUSSAIS.

rieuse qui conduit par une consomption lente, mais irrémédiable, ses tristes victimes à la mort, annonce l’instinct supérieur d’un homme qui sait déjà choisir les vrais problèmes, s’il ne sait pas encore les résoudre. Celui-ci était fondamental et devait le mettre sur la voie de ses découvertes et de sa réforme.

En effet, après avoir essayé pendant deux années de pratiquer la médecine à Paris, où il n’était pas assez connu pour réussir tout d’abord et pas assez riche pour y attendre le succès long-temps, il tourna ses vues d’un autre côté. L’armée lui offrait une clientelle toute formée et ouvrait une vaste perspective à son talent d’observateur médical. M. Broussais obtint, par l’influence de Pinel et de son ami M. Desgenettes, d’être nommé médecin aide-major dans l’armée des côtes de l’Océan. Il partit en 1805 pour le camp de Boulogne, dont il suivit les glorieux soldats à Ulm, à Austerlitz et dans leurs courses victorieuses à travers l’Europe. Il était éminemment propre à être médecin militaire. Robuste, infatigable, il avait une ame forte, un caractère décidé et un courage au-dessus des privations, des dangers et des épidémies, souvent plus meurtrières dans les armées que les batailles. Aussi montra-t-il, dans son noble et périlleux métier, ce zèle de l’aptitude et de la passion qui l’emporte, s’il se peut, sur le sentiment même du devoir, dont le principe est plus méritoire, mais dont les impulsions sont quelquefois moins actives et les résultats moins féconds. Il prodiguait aux soldats des soins persévérans et les témoignages de l’humanité la plus compatissante, car il ne s’est jamais accoutumé à voir souffrir indifféremment, et il a conservé jusqu’à la fin de sa vie cet heureux privilége d’une bonne nature que le spectacle continuel de la douleur et de la mort n’avait pas endurcie.

Mais ce qu’il y eut peut-être en lui de plus remarquable, ce fut l’esprit scientifique qu’il porta dans les camps. Le problème qui l’avait déjà occupé, et qu’il ne croyait pas avoir bien résolu, se représenta à lui. « Tous les médecins qui suivent les hôpitaux savent, dit-il, qu’on y voit une foule de malades, pâles, maigres, perdant chaque jour de leurs forces et s’avançant à pas lents vers le tombeau avec une fièvre hectique plus ou moins caractérisée et quelquefois sans aucune agitation fébrile appréciable. Les méditations qu’exigea la composition de mon ouvrage sur la fièvre hectique avaient fixé mon attention sur ces malheureux trop long-temps négligés ; et sitôt que je me vis placé sur le théâtre des hôpitaux militaires, je pris la résolution d’étudier les maladies chroniques d’une manière toute particulière. Lorsque je voulus chercher un guide parmi les auteurs les plus illustres et aux-